Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
ont atteint ses ministres, surtout Alain Carignon, prestement remplacé à la Communication par Nicolas Sarkozy, rien ne l’a fait plonger dans les sondages. Pas davantage les hausses du prix de l’essence, survenant à la veille de sa candidature, que l’annonce de l’extension de la CSG.
La chance a joué, sans doute : quelques semaines avant la présidentielle de 1988, Chirac avait dû affronter la tragédie de Nouméa. L’affaire de l’Airbus d’Air France à Alger aurait pu se muer en catastrophe ; son heureux dénouement ne peut qu’être porté au crédit du Premier ministre et de son gouvernement.
Les jeux sont-ils faits pour autant ? Les campagnes présidentielles ont toujours été marquées par de soudains renversements : de Gaulle en 1965 ne s’attendait pas à sa mise en ballottage ; en 1969, la gauche a disparu ; en 1974, Giscard, qui n’avait pas derrière lui les gros bataillons gaullistes, a vaincu Chaban-Delmas ; en 1981, le même Giscard, dont tout le monde prédisait la reconduction, a été battu de plusieurs longueurs par François Mitterrand.
Et puis, Barre est encore silencieux. S’il se présentait, l’équation de Balladur ne serait évidemment plus du tout la même : il perdrait ses appuis à l’UDF. Je sais bien que Millon est, lui, officiellement candidat UDF, mais le pauvre n’est pas Raymond Barre...
19 janvier
Déjeuner avec Balladur à Matignon au lendemain de sa déclaration de candidature. Il a, pour une fois, quelques minutes de retard. Nous sommes une bonne dizaine de journalistes autour de la table. Il paraît assez excédé par nos questions mais répond néanmoins à la plupart d’entre elles.
Sur le pacte entre le maire de Paris et lui : avait-il ou non conclu avec Chirac un accord – Matignon à l’un, l’Élysée à l’autre ? « Il n’y a pas eu de pacte, affirme-t-il. Cela aurait été inconvenant, car nous aurions préjugé de l’attitude des Français. Jacques Chirac m’a au contraire répété ce qu’il m’avait souvent dit : le moment venu, celui d’entre nous qui sera le mieux placé sera le candidat. »
C’est la première fois que j’entends cette version de la bouche de Balladur, mais, d’un autre côté, je n’ai jamais entendu ce qu’ils se sont réellement dit, je n’étais à l’évidence pas témoin de la scène.« Interrogez Chaban-Delmas et Messmer si vous le voulez, ajoute-t-il ; ils vous le confirmeront. »
Nous parlons de la cohabitation. Il est plutôt élégant avec Mitterrand : « J’ai vécu la cohabitation, dit-il, dans des conditions particulières, Mitterrand étant malade et en fin de mandat. Franchement, cela ne doit pas être très agréable d’avoir eu le pouvoir et d’en être privé tout en restant en place, comme il l’a fait. »
Il reprend : « Finalement, au cours de cette cohabitation, il y a eu de petits frottements. Mais comme nous étions convenus de ne pas nous surprendre, cela s’est plutôt bien passé. Il ne m’a surpris qu’une fois, à propos du moratoire sur les essais nucléaires. Nous avons eu une explication, et il n’a jamais recommencé. »
C’est là une façon toute personnelle de présenter les choses, car, après tout, Mitterrand, en l’affaire, a gagné sur toute la ligne : toutes les tentatives de Balladur et de Léotard pour le faire changer d’avis, puis pour tenter de l’obliger à le faire, se sont heurtées à un refus absolu. Si quelqu’un a gagné, en l’occurrence, c’est bien Mitterrand !
Je note que Balladur ne parle pas du deuxième accroc qui, selon l’Élysée, avait irrité à un suprême degré Mitterrand : la fameuse interview que le Premier ministre accorda au Figaro le 30 août dernier, titrée par le quotidien : « Notre politique étrangère. » Mitterrand est loin d’avoir pardonné à Balladur ce qu’il considère comme étant l’un des manquements importants à la règle du jeu entre les deux responsables de l’exécutif 3 . C’est à cette occasion que la « cohabitation de velours » est devenue une cohabitation en tôle ondulée ! Je crois même que c’est à ce moment précis que Mitterrand a qualifié son Premier ministre d’« étrangleur ottoman ». Balladur n’a pas l’air, lorsqu’il en parle, de s’en rendre compte : j’en connais un, à l’Élysée, qui ne l’oublie pas...
Je rapporte à Balladur, pour voir sa réaction, ce que François Mitterrand dit en privé
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