Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
de pied aurait été possible. Mais les municipales suivent de quelques semaines seulement la présidentielle : trop peu de temps pour changer de braquet. »
Laurent Fabius, tenté, craint une exploitation par ses adversaires de l’affaire du sang contaminé. Claude Bartolone m’a dit tout à l’heure : « Il a beaucoup souffert d’une campagne aussi odieuse et injuste, il craint de rouvrir la plaie. »
Lionel Jospin, lui, bizarrement, ne dit plus un mot, ce qui tendrait à prouver qu’il y pense peut-être. Je n’en ai aucune certitude.
J’énumère les outsiders possibles : Robert Badinter et Pierre Joxe 1 . Badinter a décliné avec énergie ce cadeau empoisonné pour lequel il ne se sent pas d’appétit. Contrairement à Delors, il l’a fait savoir tout de suite. Le Président a posé la question à Pierre Joxe qu’il a reçu en début d’année. Celui-ci a fait la fine bouche : « Si vous m’aviez nommé à la place de Cresson en 1991, peut-être aurais-je été en situation. Aujourd’hui, c’est non. »
Jack Lang est le mieux placé dans les sondages : formidable popularité chez les jeunes, dans les milieux intellectuels et artistiques. Mais les secrétaires fédéraux du PS boudent son éventuelle candidature.
Alors Martine Aubry, dont je n’oublie pas que Chirac m’a parlé en me disant qu’elle serait bien meilleure que son père ? À retenir en sa faveur : elle bénéficie comme par transfert de la popularité de Jacques Delors. Elle est en ce moment en vacances au Vietnam et m’a dit avant de partir qu’il lui serait difficile d’être en quelque sorte candidate par procuration. En 2002, peut-être... Aujourd’hui, c’est prématuré.
Reste Henri Emmanuelli. Il était à Latche pour le réveillon de la Saint-Sylvestre. Mais Claude Estier me dit que Mitterrand lui a conseillé de rester à l’écart de cette joute. Certes, il est populaire parmi les socialistes, il est très bien élu dans sa circonscription, avecun score à faire rougir ses concurrents ; on ne s’improvise cependant pas présidentiable à quelques semaines d’un scrutin.
Dans ce qui perd gagne général, c’est à se demander qui décrochera le pompon.
4 janvier
Mes interrogations d’hier sont dépassées. Le Parti socialiste ne s’y attendait pas, moi non plus : à la stupeur générale, Lionel Jospin a fait aujourd’hui acte de candidature à la candidature. Il paraît qu’il n’a prévenu qu’hier Henri Emmanuelli de sa décision. Il est vrai qu’il est bien seul, aujourd’hui, au sein du PS : il lui reste deux lieutenants fidèles, Daniel Vaillant et Dominique Merchez. C’est peu pour faire campagne, si c’est assez pour se présenter.
11 janvier
Avant-hier, Laurent Fabius, en retrait donc de la présidentielle, a fait dans Le Monde un portrait sur mesure de Robert Badinter en insistant sur la nécessité de présenter une personnalité parée de toutes les vertus morales et républicaines. On me dit qu’il a dîné hier avec Robert Badinter pour tenter une fois encore de le convaincre. Cela aurait de la gueule, c’est sûr ! Les sondages n’ont pas encore retenu cette hypothèse. Tandis que Jospin, lui, est déjà sur la ligne de départ devant les socialistes, qui doivent se prononcer à l’occasion de primaires... enfin, à condition qu’il y ait, au sein du PS, quelqu’un d’autre pour se mesurer à lui !
12 janvier
L’éloignement dans lequel notre petite communauté politique – journalistes et dirigeants dans le même panier – tient Chirac me stupéfie. À 62 ans, après avoir baigné trente ans dans la vie publique, après avoir été par deux fois Premier ministre, une ribambelle de fois ministre, après avoir fait la preuve qu’il savait conquérir un mouvement politique et le garder, je n’arrive pas à comprendre comment il reste à ce point caricaturé. Qu’on le trouve peu intellectuel, qu’il n’aime pas débattre indéfiniment des faits de société et des révisionsconstitutionnelles, qu’il n’apprécie pas les caméras de télévision, qu’il passe son temps à dire qu’il déteste la littérature et la musique, que les romans policiers sont la seule lecture qu’il apprécie, bon, c’est un compte. Mais enfin il a un parcours, une longévité, une carrière, quoi, qui mériteraient peut-être qu’on ne le considère pas uniquement comme étant le Poulidor de la politique.
C’est pour cette raison, me dit-il
Weitere Kostenlose Bücher