Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
aujourd’hui, qu’il va publier dans quelques jours le deuxième tome de ses « réflexions », une fois encore chez Nicole Lattès. Après en avoir instamment été prié par ses partisans, il veut y montrer qu’il n’est pas seulement l’« homme pressé » que décrivent ses détracteurs, qu’il a certes commis beaucoup d’erreurs, mais pas tellement plus que les autres. Il se décrit – non sans difficulté, parce qu’il n’aime pas parler de lui – comme un homme qui déteste les idéologues, sans être totalement fermé à la réflexion ; qui dresse le constat d’une France qui va mal ; qui veut enfin démontrer que seuls comptent la volonté et l’élan politiques.
Je me demande tout de même si, en dénonçant l’establishment, la technocratie de Bruxelles et d’ailleurs, en appelant les Français au changement plus qu’à la continuité, à la rupture plus qu’à la résignation, il ne va pas finir par leur faire peur.
Évidemment, quand on est installé à Matignon, on est plus à l’aise.
12-13 janvier
Je suis venue en Vendée dès hier soir pour interviewer, ce matin, Philippe de Villiers, lui aussi candidat à la présidentielle. Il a décidé d’exploiter les résultats qu’il a obtenus l’année dernière aux européennes. Il me semble que c’est bien imprudent, car il recueillera, dans cette élection, moins de voix qu’il n’en a obtenu en 1994. Campagne électorale oblige : il n’a pas eu le temps de venir à Paris. Nous enregistrons donc en direct, pour RTL, depuis le studio de Radio-Alouette, radio locale que dirige un de ses frères. Arrivé quelques minutes avant de passer à l’antenne, il me parle d’abord des sondages : « Tous truqués : je l’ai compris lors des élections européennes. Rappelez-vous : à un moment, notre liste a très nettement fléchi dans les enquêtes. Jimmy Goldsmith 2 m’a dit : “Je m’en occupe.”Il a lâché un million, et d’un seul coup notre liste est repartie en flèche ! »
Au moment de commencer l’émission, il entend la phrase que Balladur a prononcée la veille : « Je dispose d’une batterie de soutiens. » Il ricane : « Tu parles, une batterie de casseroles, oui ! » Puis il se reprend : « Je ne peux pas dire cela : les Français ne veulent pas de polémiques, pas de dérapage. Tout rond, il faut être tout rond ! Je serai donc tout rond, pendant la campagne... »
Il dispose de 4 % dans un premier sondage, de 8 % dans celui qui sera publié demain. Il compte monter jusqu’à 10-12 %. Il me semble que sa candidature n’a qu’un but : compter ses voix et participer au futur gouvernement. Je lui demande, pour vérifier cette hypothèse, s’il acceptera un poste gouvernemental. « Je n’y ai peut-être pas tout de suite intérêt, convient-il. Dans le deuxième gouvernement, peut-être. » Avec tout ce qu’il balance sur les accords du GATT et sur l’Europe, je souhaite bien du plaisir à celui qui le prendra dans son gouvernement, fût-ce dans le deuxième !
18 janvier
Balladur candidat : on ne peut pas dire que l’annonce surprenne. Il aurait préféré attendre encore un peu, ses amis l’ont persuadé qu’il valait mieux forcer l’allure.
Y penser toujours, n’en parler jamais : telle est, depuis près de deux ans, l’attitude d’Édouard Balladur. L’affaire, il faut en convenir, a été de bout en bout remarquablement menée. Pas une erreur de parcours depuis la victoire de la majorité en 1993. De la nomination à Matignon, adoubé par Chirac, jusqu’à cette candidature, aujourd’hui, en passant par les appels adressés à point nommé par Simone Veil et François Léotard, sans oublier le dernier SCUD de la lettre de Charles Pasqua à Jacques Chirac, pas une fausse note ! Tout a été calculé, pesé, millimétré, peut-être depuis plus d’années qu’on ne le croit. Depuis, sans doute, si on retrace son parcours, son arrivée au ministère des Finances, pendant la première cohabitation. Ce qui n’était pas prévu, en revanche, c’est qu’au moment d’entrer en campagne, son état de grâce soit miraculeusement intact, ou presque. Il n’a jamais connu, comme la plupart, les abîmes des enquêtes d’opinion après en avoir habité les sommets. Ni le chiffre du chômage, resté à peu près le même qu’en 1993, ni la querelle sur le SMICjeunes, ni la guerre scolaire un instant seulement rallumée, il est vrai, ni les « affaires » qui
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