Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
cheveu.
27 janvier
Jean-Louis Debré me raconte son dernier petit déjeuner avec Nicolas Sarkozy, le 12 janvier au matin. À Bercy, naturellement. Voici sa version. Nicolas Sarkozy lui aurait parlé sans détour, les yeux dans les yeux : « Balladur a gagné, lui a-t-il affirmé en toute certitude, comme si le vote avait déjà eu lieu. C’est bouclé : l’alliance politique que nous allons mettre au point va des centristes au Front national. Simone Veil et Pierre Méhaignerie protesteront, je m’en fous ! Philippe Séguin, il est mort. Il vous a craché à la figure, à Reuilly, et il ne nous a pas léché les bottes. Pasqua, c’est terminé. Nous allons donc reprendre le RPR. Je ne te demande pas de te rallier à nous. »
À ce moment de son récit, Debré ouvre une parenthèse : « D’ailleurs, ajoute-t-il, il m’avait dit en préalable : “Nous avons déjà récompensé ton frère.” »
Lorsqu’on sait les sentiments ambigus qu’éprouvent les jumeaux Debré l’un envers l’autre, on mesure que la nomination de Bernard Debré en remplacement de Michel Roussin 4 n’a pas dû causer un extrême plaisir à son frère ! Passons.
Suite de la conversation Sarkozy-Debré : « Je ne te demande donc pas de te rallier, aurait poursuivi Sarko, toujours dans la version de Jean-Louis Debré. Mais, au RPR, j’aurai deux problèmes. Le premier, c’est Alain Juppé. Je pense toutefois qu’étant ministre, il n’en fera pas trop jusqu’en mai. Le second, c’est toi. Tu es en sursis. Je sais que tu as visité environ 70 fédérations RPR depuis le début de la campagne. Si tu veux continuer à faire de la politique, pas de déclaration intempestive, et pas de tournée ! »
Jean-Louis Debré m’a raconté tout cela hors antenne. Il ne s’en est peut-être pas aperçu, mais il en dit quand même une bonne part en direct, notamment sur l’alliance politique allant des centristes à Le Pen.
Dans l’après-midi, donc, coup de téléphone pas furibard, mais plutôt sec de Nicolas Sarkozy : « Debré ment, m’affirme-t-il avec force. Vous pensez que je serais aller parler à Debré d’une alliance avec Le Pen ! Je ne suis pas fou tout de même ! Je ne prendrai pas la peine de démentir ni de polémiquer avec lui. Je tenais simplement à ce que vous le sachiez. »
Même date
Parti socialiste, suite... L’acharnement que tous manifestent à se détruire sans comprendre que c’est le sort de chacun d’eux qui est en jeu me paraît ne pas faiblir. Il y a une quinzaine de jours, le 4, Lionel Jospin a dit le premier qu’il était candidat à la candidature. Que n’a-t-il pas fait là ! Des contre-feux, de tous côtés, se sont allumés : notamment celui de François Mitterrand, qui condamne depuis longtemps le « droit d’inventaire » réclamé par Jospin, et encore plus la condamnation que celui-ci porte sur son passage à Vichy. Mitterrand n’avait déjà pas beaucoup de candidats socialistes à pousser à l’exception de Laurent Fabius, qui, on le sait, ne veut pas tenter le sort. Que celui de tous les dirigeants du parti qu’il aime le moins soit le premier à profiter du vide n’est pas fait pour le satisfaire. Leurs relations, c’est un euphémisme, ne sont pas vraiment bonnes depuis plusieurs années déjà 5 . Depuis 1992, quand Mitterrand ne l’a pas reconduit au ministère de l’Éducation nationale. Et plus encore depuis le commentaire de Lionel Jospin sur le livre de Pierre Péan 6 .
Lorsque je l’ai interrogé sur ses intentions, Mauroy m’a raconté que Jospin avait rencontré Mitterrand en décembre. J’ignorais que c’était pour lui annoncer son éventuelle candidature. En tout cas, celle-ci n’a pas l’air de faire un immense plaisir au chef de l’État : tous les bruits en provenance de l’Élysée et des mitterrandistes le confirment. Jack Lang, par exemple, le mieux placé à gauche dans les sondages, est instrumentalisé pour porter la première estocade à l’impétrant, ouvrant ainsi la porte à Henri Emmanuelli qui sera lui aussi candidat.
Je n’ai nulle envie de rire ou d’ironiser sur les soubresauts du pauvre PS. Voilà un parti qui a été sanctionné par l’électorat de gauche, etde belle façon, en 1993 ; qui a vu dans les quelques mois précédant sa défaite ses belles idées fondre comme neige au soleil dans l’enfer des prétoires ; dont le rêve humaniste s’est brutalement heurté à la réalité de
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