Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
à ma première expérience. La prochaine fois, je commencerai le premier. Mais l’important, c’est d’arriver le premier à la fin ! »
Je lui trouve assez de caractère dans l’adversité ; il est même plutôt moins crispé que ses amis politiques.
À la fin du déjeuner, François Fillon – RPR, lui, mais pas du tout chiraquien – prononce quelques phrases habiles pour rendre hommage « à la détermination et au courage » du Premier ministre, sans préjuger de ses choix politiques futurs 13 .
Balladur, après lui, annonce au département une aide de 75 millions de francs pour les sports mécaniques. Ce qui montre au passage qu’il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, de dissocier, en Balladur, le Premier ministre et le candidat ! Il parle de la croissanceretrouvée, de la prospérité durable de l’économie, de sa façon de faire de la politique : « La politique moderne, c’est la souplesse, le dialogue, mais aussi la vérité. » À bon entendeur – c’est-à-dire à tous ceux qui l’accusent de reculer sans cesse sur les grands desseins du RPR – salut ! Sans complaisance, il décrit ensuite plus précisément les risques qui attendent les Français : risque de l’archaïsme, risque de la facilité et de la démagogie. « Tout ne sera pas possible, poursuit-il, tout ne sera pas facile. Il nous reste beaucoup d’efforts à faire pour que notre pays aborde le XXI e siècle dans de bonnes conditions. »
Tandis que la visite reprend – dans la ville de Sablé, cette fois –, Jacques Chaumont, à qui je demande son diagnostic politique sur l’humeur des gaullistes sarthois, me dit que les cadres et une partie des élus RPR de la Sarthe sont restés dans l’orbite de Chirac. C’est d’ailleurs ce dont convenait devant moi Charles Pasqua, la semaine dernière.
François Fillon, lui, donne dans les rues de la ville une leçon de politique sur le terrain : comment couper un ruban et en distribuer de petits bouts au public. Joignant le geste à la parole, il déroule le ruban sur un mètre et y donne une dizaine de coups de ciseaux, puis distribue les morceaux autour de lui.
« Formidable ! Quelle bonne idée ! » s’exclame Balladur.
« C’est que je suis ministre de la Recherche », rétorque Fillon en plaisantant.
Tandis qu’il parcourt les rues, escorté de quelques journalistes qui, au demeurant, l’isolent de la foule à laquelle il est venu rendre visite, Édouard Balladur me dit qu’il s’attendait au choix de Charles Millon en faveur de Chirac.
« Que pensez-vous de ceux qui, comme Delors, Barre, Giscard, ont abandonné la partie parce qu’ils disent ne rien pouvoir faire ? » La réponse fuse : « Que cela prouve le courage de ceux qui vont à la bataille ! »
Croit-il que la déclaration de candidature de Lionel Jospin modifie la donne politique ? Moue dubitative : « Il n’y a rien dans son programme de franchement novateur », répond-il. Il a en tête, comme moi, le premier commentaire de Nicolas Sarkozy après la conférence de presse de Jospin : « Je partage son avis, a-t-il dit, ironique, lorsqu’il refuse la crise, les catastrophes naturelles et les inondations ! »
Balladur ne dira pas un mot de plus sur le candidat socialiste, auquel il n’accorde pas, en vérité, la moindre importance. On le sent sinon irrité, du moins agacé par la volonté des journalistes de l’opposer, quoi qu’il fasse, à Jacques Chirac, par leur volonté de dramatiserl’affrontement entre eux deux. Il y revient à plusieurs reprises : « Vous ne vouliez pas vous ennuyer pendant la campagne, vous vouliez qu’il y ait du suspense, eh bien, vous êtes servis ! »
« Amusez-vous bien, dit-il encore en nous quittant. – Vous aussi ! » lui répondons-nous, sceptiques.
Il a un petit signe de la main et un curieux sourire en coin : il s’amuse quand même un peu moins qu’à la fin de l’année dernière.
10 mars
Anecdotes :
Pierre Bergé, le patron de Saint Laurent, assure qu’à la fin de la visite de l’exposition du pavillon de Tunisie, pour laquelle Frédéric Mitterrand servait de cicérone, le président de la République a dit avec un sourire à ses amis : « Hein, qui aurait dit que nous allions voter Chirac ? » Pierre Bergé, qui déteste Jospin, publie aujourd’hui un point de vue dans Le Monde pour plaider qu’à droite, Chirac est à coup sûr le moins mauvais.
Édouard Balladur
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