Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

que je ne sois pas sûre que ces mises en examen, qui n’ont pas fait de vagues en octobre-novembre, en feraient davantage maintenant que Balladur est candidat.
    Reste l’affaire du dessaisissement du juge Halphen et des écoutes téléphoniques des Hauts-de-Seine, qui atteint à la fois l’Intérieur et Matignon. Et aussi le coup porté – cette fois directement – à Balladur sur son salaire à la CSI 10 .
    Le plus important est à mon avis le nouveau discours de Chirac sur la « fracture sociale », les inégalités, le changement nécessaire, larupture attendue. Bref, le virage à gauche (surtout dans un moment où le PS, précisément, se tait) fonctionne...
    28 février
    Je ne comprends rien à la stratégie de Jospin. Voilà plus de quinze jours qu’il a été désigné par le PS, et il continue de se taire ! Il m’a dit cette semaine qu’il ne se sentait pas prêt à se lancer dès le mois de février dans la campagne. Il n’a pas participé, m’a-t-il expliqué, à l’élaboration de la plate-forme du PS mise en forme par Julien Dray – dont, par parenthèse, il se méfie beaucoup, je ne sais pourquoi – et il ne veut pas accepter comme texte de référence un programme qu’il n’a pas choisi. Il a besoin d’un minimum de temps pour rédiger, seul ou presque, les thèmes qu’il défendra et les engagements qu’il prendra auprès des électeurs. Cela part d’un bon sentiment, mais n’aurait-il pas fallu préparer les choses un peu en amont ? Non, me répond-il, c’était impossible avant d’avoir été officiellement désigné. Ce retard affaiblit-il ses chances ? On peut plaider, ce que fait sa très petite équipe, que plus il se tait, moins il dit de choses, moins il mécontente et plus il gagne de voix. Certes, mais cela ne peut durer longtemps...
    En attendant, il a choisi ses locaux dans un immeuble moderne dans la rue du Cherche-Midi et les a fait repeindre, tâche nettement insuffisante pour gagner des voix ! Il a changé de lunettes et de manteau, endossé un pardessus blanc cassé, sans doute pour donner raison à ses communicants qui disent : « Avec Jospin, c’est clair » ! Il a aussi révélé l’étroitesse de son patrimoine, qui se limite à une Renault 19, rêve du jeune homme qu’il a été. Pour le reste, donc, rien : pas ou presque de prestations télévisées, si ce n’est au lendemain de sa désignation pour demander qu’on le laisse reprendre ses esprits, comme s’il les avait perdus. Pas de grand meeting. Il ne veut pas se dépêcher et a repoussé au 7 mars sa conférence de presse « fondatrice », repoussé aussi l’interview qu’il devait confier cette semaine à Libération .
    Je pense néanmoins qu’il a commis une erreur : en laissant tout le mois de février à Balladur et à Chirac, il a perdu une occasion de substituer au débat droite/droite, qui domine la campagne, le débat droite/gauche, plus simple pour les Français et plus valorisant pour lui, Jospin.
    Pendant ce temps, les balladuriens rigolent devant le programme de Chirac qu’ils jugent, au choix, ou simpliste ou démagogique. Ils le chiffrent à 500 milliards : refus de maîtriser les dépenses de santé, coût des contrats initiative-emploi. Les chiraquiens, eux, évaluent à 45 milliards les mesures nouvelles proposées par leur candidat. Oui, rétorquent-ils, le retour à l’emploi coûte, mais moins cher que le chômage !
    28 février encore
    Réunion d’urgence Bazire-Sarkozy au QG de la rue de Grenelle. Résultat : il faut que Balladur se mobilise davantage. Au lieu des cinq ou six meetings prévus, il devra en faire une trentaine. L’objectif : récupérer dare-dare l’électorat gaulliste et, si possible, l’électorat populaire.
    1 er  mars
    J’étais sévère avec Jospin. En réalité, me dit aujourd’hui Pierre Moscovici, si Jospin se tait, il en profite pour mettre sur pied une équipe et mettre au point son état-major de campagne : une partie des anciens de son courant, Moscovici, Dominique Strauss-Kahn, l’ont rejoint dans la semaine ; Claude Allègre se rallie à eux. Les partisans de Pierre Mauroy, de Michel Rocard et même de Jacques Delors, convergent vers la rue du Cherche-Midi. À noter qu’Emmanuelli et Laurent Fabius n’en font pas partie. Une preuve de plus, s’il en fallait, que Mitterrand ne soutient pas la candidature Jospin.
    4 mars
    Je ne fais qu’écrire ici, pour faire le point, ce qui est commenté par toute