Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
lui suggère : « Pourquoi pas toi ? »
L’idée fait son chemin. Dans la première semaine d’octobre 1994, Charles Millon rencontre Giscard rue de Bénouville 20 et évoque sa propre candidature : « Une candidature conditionnelle, précise-t-il, une candidature d’éclaireur. Il s’agit de glisser le pied dans la porte afin qu’elle ne se referme pas. » Un geste qui donne à Giscard ou à Barre, dont Millon est proche, l’occasion de se décider. Giscard n’est pas hostile, mais demande à réfléchir.
Le mardi 8 novembre au matin, il rencontre à nouveau Giscard avec, cette fois, Hervé de Charette et Jean-Pierre Raffarin. Dans l’intervalle, Chirac a déclaré sa candidature. Millon insiste auprès de Giscard : c’est maintenant qu’il faut un candidat UDF, car, plus tard, il sera coincé entre Balladur et Chirac. « Il vous faut un lièvre, dit-il ; je suis prêt à jouer ce rôle-là. Profitez-en. »
Accord nuancé de Giscard : « Si vous pensez que c’est utile, lâche-t-il, allez-y ! »
Le lendemain 9 novembre, Millon annonce sa candidature au micro de RTL. Il la retire en mars lorsqu’il est devenu évident qu’aucun UDF n’a de chances au milieu du duel Balladur-Chirac, et il choisit, comme Giscard, le ralliement à l’ennemi de 1981. Sic transit .
Ces conversations permettent une autre interprétation de la montée de Chirac dans les sondages. Bien sûr, les électeurs de la majorité ne suivent pas les décisions que prennent entre eux, au sommet, les dirigeants, mais enfin, ils ont depuis longtemps compris que l’UDF n’était pas rangée comme un seul homme derrière Balladur, que c’était plus compliqué. Si complot il y a eu, c’est bien entre Chirac, au moment où nous écrivions tous qu’il planait sur son petit nuage, coupé des réalités politiques, et Giscard. Amusant et instructif...
Cela étant, je ne suis pas dupe : Charette et Millon m’auraient-ils raconté leur action en faveur de Chirac il y a quelques mois, avant que celui-ci ait pris la première place dans les sondages ? Qu’auraient-ils fait si leur soutien avait été inefficace et si Balladur avait continué son ascension ?
20 avril
Dernière ligne droite. Les jeux sont faits. Je m’aperçois qu’obnubilée, comme tous les journalistes, par la rivalité Chirac/Balladur, j’ai peu parlé, dans ces cahiers, de la candidature et de la campagne de Lionel Jospin. Eh bien, finalement, elle a bien marché : les fédérations du PS, après quelques hésitations, se sont mises au travail. Pierre Mauroy a continué à donner de la voix, et, surtout, Jacques Delors a fini par accepter, le 15 février, de présider les comités de soutien de Jospin ; les derniers meetings ont été d’un enthousiasme inouï qui n’a pas été sans rappeler – je ne sais comment Mitterrand le prend – les dernières réunions publiques de 1981, celle de Toulouse surtout.
Rien à noter sur les deux candidats de la majorité, si ce n’est que Chirac, le 18, quatre jours avant la fin de la campagne, s’en est pris à Jean-Claude Trichet 21 en des termes vifs. Il me semble que cela ne peut pas lui nuire. Sa campagne a été si fortement marquée par sa dénonciation des technocrates, banquiers et autres inspecteurs des Finances, pour que sa sortie non fortuite contre Trichet soit plutôt bien accueillie par son électorat.
23-24 avril (dans la nuit)
Soirée électorale passionnante. Elles le sont toutes, ou à peu près. Celle-ci, dans le genre, a été digne d’entrer dans les annales. Tous les sondages annonçaient donc – surtout celui du Point , hier – Chirac premier, Jospin deuxième, Balladur troisième. Pas de changement dans les sondages « sortie des urnes » de l’après-midi 22 , péremptoires sur l’ordre d’arrivée : Chirac numéro 1 avec 23-24 % des voix, distançant les deux autres. Lorsque nous nous sommes installés derrière nos bureaux de commentateurs, à RTL, bien avant 20 heures, lessondeurs présents nous ont communiqué les résultats des premières estimations qui chamboulaient tous les pronostics : Jospin devançait largement les deux frères ennemis, au coude à coude, que rien n’a paru pouvoir départager pendant près de deux heures d’horloge. Brouhaha, interrogations, exclamations, agitation autour des ordinateurs des instituts de sondage, suspense ! Lequel suspense a duré jusqu’après 20 heures où, timidement, Chirac a fini par se
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