Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
gouvernement – Pasqua, surtout, mais sur ordre – tient l’Élysée à l’écart de tout ce qui concerne de près ou de loin le ministère de l’Intérieur. Hier ou avant-hier, il a fait une scène à sa manière, ironique et blanc de rage, parce qu’il a appris l’affaire d’espionnage autour de la fusée Ariane par France-Soir !
Sur le front de l’audiovisuel, en revanche, pas grand-chose. Près de trois semaines ont passé depuis la privatisation. Pas d’appel en vue du côté de Bouygues. Les choses vont vite, cependant. Hervé Bourges, Pascal Josèphe et Alain Denvers, qui pensaient rester à la direction de la chaîne, au moins tant que l’équipe Bouygues ne serait pas familiarisée avec les problèmes de gestion quotidienne de TF1, s’en vont dès lors qu’ils apprennent que c’est Étienne Mougeotte qui arrive sur TF1 comme patron des programmes. Je ne peux en dire autant pour Pascal Josèphe et Alain Denvers, mais, en ce qui concerne Hervé Bourges, j’ai toujours été sûre que Bouygues ne legarderait pas, même s’il était persuadé du contraire. Je ne sais ce que l’un avait promis à l’autre, mais j’ai toujours pensé que Bourges, s’il restait, ferait de l’ombre à Bouygues, et que celui-ci n’était pas disposé à l’accepter.
D’où l’arrivée de Mougeotte, imposé par Bouygues, qui sait que Le Lay, tout intelligent qu’il est, ne peut gérer les programmes de TF1. Il ne connaît rien lui-même à la télévision ; la seule chose qu’il sache est qu’il lui faut quelqu’un qui connaisse la musique.
Tout de même, Mougeotte, qui a jusqu’au bout défendu les couleurs de Lagardère... Pourtant, il n’a guère de choix : condamné au placard s’il reste chez Lagardère où il n’a pas que des amis et où, de surcroît, personne ne parle de lui redonner le poste qui était le sien – la direction du puissant Télé 7 Jours –, il n’a pas longtemps résisté aux sirènes de Bouygues.
Quelques jours plus tard, début mai
Je raconte exactement, je le jure, ce qui s’est passé aujourd’hui.
Ce matin très tôt, Christian Dutoit m’a téléphoné. Il me dit qu’il a rejoint Étienne Mougeotte à TF1 et c’est en son nom qu’il me propose de prendre la direction de l’information de TF1. C’est peu de dire que la proposition tombe à pic ! Il m’annonce que Mougeotte, puis Bouygues m’attendent dans l’après-midi aux Champs-Élysées, au siège du groupe où Francis Bouygues et Le Lay ont gardé leurs bureaux dans lesquels ils ne cessent de recevoir.
Dutoit ne me dispense qu’un conseil d’ami : ne pas croire aux propositions qu’on me fera sans demander immédiatement un papier pour les confirmer. Pas d’acquiescement précipité de ma part, a-t-il insisté, sans contrat en bonne et due forme.
Pourquoi me dit-il cela ? Je suppose que, depuis quelques jours, il voit beaucoup d’impétrants croire qu’ils sont engagés et déchanter le jour d’après.
À l’heure dite, j’arrive aux Champs-Élysées. Bouygues m’attend, amical, me demande mes conditions, et, comme je suis incapable de savoir ce qu’il faut demander, me les fixe lui-même à un niveau que je ne croyais pas possible. Je demande, suivant le conseil de Dutoit, un papier pour confirmer mon engagement. Il m’emmène dans un bureau voisin où un juriste rédige le contrat. Je quitte son bureau, contrat en main, lorsque je croise, sortant du bureau d’à côté, Christine Ockrent tenant elle aussi à la main quelques feuillets que je présume être un contrat.
Je rentre en courant dans le bureau de Dutoit où Étienne Mougeotte se trouve aussi. Je leur demande s’ils se foutent de moi : ils n’ont quand même pas choisi deux femmes pour le même poste ? Embarrassé, Étienne me dit que Christine a été engagée comme directrice générale adjointe, en numéro 2 de Patrick Le Lay, et pas du tout au poste de directeur de l’information. Je n’ai donc pas à m’en préoccuper, me disent-ils : Le Lay s’en chargera tout seul.
En dehors de mes enfants, que j’appelle depuis une cabine téléphonique des Champs-Élysées, j’ai encore deux personnes à prévenir. La première, c’est Jean-Pierre Elkabbach, qui marque sa stupeur à l’idée que j’ai pu être jugée par Bouygues capable de m’occuper d’une rédaction. Je ne suis pas mécontente de lui faire ce pied de nez.
Prévenir la seconde personne est, pour moi, le plus difficile : il
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