Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
j’ai rendu des arbitrages et des avis sur des cahiers des charges, j’ai dirigé la Haute Autorité pendant quatre ans, mais, en matière de télévision, je n’ai aucune expérience, si ce n’est celle d’avoir arbitré le débat présidentiel de 1981. Christine a été présentatrice du journal d’Antenne 2, mais elle n’a jamais dirigé de chaîne. Dutoit est bien pour le moment le seul « pro » de la bande.
Je ne me rappelle pas tout ce qui s’est dit au cours de ce déjeuner, mais cela n’avait pas d’importance. On était là, voilà tout, moi encore surprise de me retrouver à l’Eden Roc, parmi l’état-major d’une télévision privée. Car c’est surtout cela qui m’impressionne : je suis passée en un an du contrôle du service public à l’état-major d’une chaîne privée ! Je suis comme étourdie de ce qui m’arrive.
Dans l’après-midi, Françis Bouygues fait visiter sa villa : allées fleuries, piscine, tout cela me semble disproportionné, d’une tout autre dimension. Il m’emmène faire le tour du propriétaire dans une de ces petites voitures électriques identiques à celles que l’on trouve sur les pelouses d’un terrain de golf. À pied, ce serait trop long !
19 mai
Y aurait-il une sorte de rébellion contre Jacques Chirac de la part des jeunes ministres de son gouvernement ou des quadragénaires du RPR ? L’article que Michel Noir vient de publier hier ou avant-hier dans Le Monde , sur lequel les télévisions reviennent, est une déclaration de guerre, il n’y a pas d’autre mot, contre la politique conduite par Charles Pasqua, sinon contre Jacques Chirac. Pourquoi Michel Noir ? Il s’agit – autant que je puisse en juger, parce que je le connais mal – d’un quadragénaire plutôt bien de sa personne, ministre du Commerce extérieur, désireux de se faire une image et qui doit se demander pourquoi ce n’est pas lui qui est à Matignon.
À sa décharge, il faut aussi dire que le RPR est, à ce que me dit Catherine Nay, dans un désordre épouvantable. Chirac n’a pas le temps de s’en occuper. Pasqua non plus. C’est Jacques Toubon qui en est le secrétaire général depuis 1984. Un quadragénaire lui aussi, sympathique et généreux, actif, trop sans doute, qui émaille les propos qu’il tient de rires sonores et de tapes dans le dos de ses interlocuteurs, mais qui n’a pas vraiment le sens de l’ordre. En tout cas, c’est ce qu’on lui reproche de tous côtés. Il est vrai que l’organisation d’un parti majoritaire n’est pas si facile, et qu’il est bordé de tous côtés par de vigilants contrôleurs pour qui il en fait trop ou trop peu.
Peine perdue ! Toubon est comme Chirac : unique quand il s’agit de conquérir une circonscription, décevant quand il s’agit d’organisation. « Vous savez, m’avait dit un jour Michel Debré qui venait de rentrer de l’Assemblée européenne de Strasbourg dans le même avion que lui, il est extraordinaire, votre ami Toubon. Vous pouvez l’interroger sur n’importe quoi, il a réponse à tout, il se souvient de tout, parce qu’il a une mémoire formidable. Mais je ne suis pas sûr qu’il réfléchisse toujours à ce qu’il dit... Et ce que je viens de vous dire là est un euphémisme ! »
Bref, dans son article, Michel Noir condamne surtout la politique de Pasqua vis-à-vis de l’immigration. Pour la première fois également, il pose le problème des alliances et des concessions faites – ou sur le point de se conclure – avec l’extrême droite de Jean-Marie Le Pen. Joli cadeau, en effet, que Mitterrand a laissé à la droite : la présence, y compris au Parlement, d’un Front national dont le pauvre ministre de l’Intérieur est suspecté de vouloir récupérer les électeurs. Pourquoi Pasqua ? J’ai l’impression que tout le monde au RPR aurait bien envie de récupérer les voix de Le Pen sans lesquelles la droite semble rester durablement dans l’incapacité de gouverner.
Édouard Balladur, tout paré de vertu qu’il est, hésite lui aussi sur la ligne à suivre, mais Chirac reste fondamentalement hostile à tout rapprochement. C’est du moins ce qu’il dit, et je sais ce qu’il pense dans le fond de son cœur. Michel Noir ne me semble pas être plus républicain que les autres, ni plus gaulliste, de ce point de vue, que Chirac. Toujours est-il qu’il lance dans les colonnes du Monde cette affirmation qui en embarrasse plus d’un : « Mieux
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