Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
s’agit d’Hervé Bourges, mon ami, qui a été contraint, lui, de prendre la porte de TF1. Il m’a donné, depuis l’année dernière, l’occasion d’y animer une émission. Comment va-t-il prendre le fait que j’y entre ? J’attendrai demain pour le lui dire.
4 mai
Lorsque j’ai appelé Bourges, il savait déjà que j’avais signé la veille. Il s’est étonné de ce que je ne lui en aie pas parlé. Je n’avais pas eu le temps de le faire. On a toujours le temps de le faire, m’a-t-il dit.
Il s’agit d’un chassé-croisé, en quelque sorte, qu’aucun de nous deux n’attendait. Il serait resté à TF1 avec son équipe, j’aurais gardé mon émission, celle qu’il m’avait offerte en début d’année, mais il ne m’aurait pas embauchée. Il s’en va : adieu mon émission, bonjour l’information ! Je n’ai pas eu l’impression de malmener notre amitié.
Il m’assure qu’il ne m’en voudra pas, mais je sens bien pourtant qu’il m’en veut un peu. Je ne suis pour rien, il le sait, dans son départ. Il ne peut pas m’en tenir rigueur, il est seulement légèrement abattu par ce qui n’est pas une trahison – évidemment, dans le cas présent, personne ne trahit personne –, mais qui est peut-être tout simplement, si nous n’y prenons garde, la fin d’une amitié.
Plus tard en mai
Je n’ai pas pu écrire quelques lignes depuis le début mai. J’ai plongé dans la rédaction de TF1 qui ne m’attendait pas et qui, pourtant, m’a assez bien accueillie. Qui n’a pas vu, en tout cas, dans ma nomination une provocation politique. À vrai dire, ils étaient presque surpris de me voir débarquer à la tête de l’information.
Le premier que j’aie rencontré, le soir précédant mon entrée dans la cage aux lions, a été Bruno Masure, parce que je le connaissais depuis les années 1980, avant qu’il ne devienne le populaire présentateur que l’on a connu par la suite. Je savais, parce qu’il me l’avait dit lors de notre première rencontre, que Bouygues avait promis à Patrick Poivre d’Arvor le JT de 20 heures, et je souhaitais avant tout autre chose faire accepter à Masure le journal du week-end.
Nous avons dîné dans un restaurant de la rue de Grenelle où j’ai commis un impair inouï. Nous parlions de l’info, des différentes revendications de la rédaction, de sa place à lui dans l’équipe. Je ne sais comment, au détour d’une phrase, il a fait une allusion à son homosexualité. Comme je le pensais fortement hétérosexuel, j’ai ri de ce que je croyais être une plaisanterie. Il a dû s’y reprendre à deux fois pour que je comprenne enfin. J’ignorais complètement que cet homme au physique si apprécié des femmes ne les aimait pas. Ma naïveté l’a stupéfait. Il en riait encore quand nous nous sommes quittés.
Le lendemain, je plonge dans la cage aux fauves. Il n’y a pas d’autre mot pour décrire l’atmosphère dans laquelle j’ai commencé mon boulot à TF1. Heureusement, à mes côtés, nommé avant moi sans même que personne, dans la hiérarchie Bouygues, ait jugé bon de me prévenir, le nouveau directeur adjoint de la rédaction, Jean-Claude Paris, me plaît au premier regard. Visage rond, lunettes rondes, Paris est un pro de l’audiovisuel. Il a toutes les connaissances que je n’ai pas : il connaît bien les journalistes de TF1 ; il revient des États-Unis d’où il a été rappelé par Le Lay ; aucun aspect de la technique de la télévision ne lui est inconnu. Il paraît, me disent immédiatement quelques bonnes langues, qu’il a fort mauvais caractère, qu’il est impulsif et explosif. Ce n’est pas du tout l’impression qu’il me donne au premier coup d’œil, mais il faudra tout de même se méfier.
En attendant, l’un et l’autre, nous apprécions d’être éloignés physiquement du centre névralgique de TF1 : Patrick Le Lay, Étienne Mougeotte, Christine Ockrent, Cyril Du Peloux restent à Montparnasse où une partie de TF1 d’avant la privatisation avait installé ses bureaux. Nous sommes, information et technique, installés à Cognacq-Jay, loin de l’agitation de la direction, ce qui nous laisse une relative indépendance et une tranquillité certaine. D’ailleurs, pas grand monde en dehors de nous n’a le temps de s’occuper de l’information.
Moi, j’ai commencé par recevoir la plupart des journalistes hostiles à la privatisation de TF1. Une centaine environ m’ont dit
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