Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
d’emblée qu’ils voulaient partir. Lorsque j’ai demandé à Francis Bouygues et à Le Lay la conduite à tenir – car leur départ impliquait la distribution, au passage, de substantielles indemnités –, ils m’ont dit, grands seigneurs, que ce n’était pas un problème. Il faut dire qu’après avoir déboursé 3 milliards de francs pour acheter TF1, quelques petits millions ne leur faisaient pas peur. Ils m’ont même dit qu’il fallait les traiter un peu mieux que le simple Code du travail le prévoyait.
C’est ce qui a été fait. Quant au reste de la rédaction, plutôt bonne fille, elle a été encouragée par la hausse générale des salaires consentie dès les premières semaines par Francis Bouygues.
À cette occasion, ce dernier m’a donné une leçon de gestion que je n’oublierai jamais. Car les journalistes du service public, ce que j’ignorais, restaient rétribués selon une grille analogue à celle de la fonction publique, d’après un barème compliqué fait d’indices et de quarts de point. Eh bien, nous avons complètement modifié la grille, en tête à tête avec Bouygues, en moins de temps qu’il n’en faut pour l’écrire, en virant les indices et les points, en unifiant les différentes fonctions occupées, et en fixant pour chacune d’elles un salaire plancher et un salaire plafond. Cela n’a l’air de rien, mais nous sommes passés du public au privé en moins d’une heure !
Je suis contente de m’occuper d’information. Même si je ne domine pas l’outil télévisé, il y a ici assez de rédacteurs en chef et de super-techniciens pour me montrer comment ça se passe. Au moins, ici, je ne perdrai pas le contact avec les hommes politiques.
13 mai
Me voici donc au Festival de Cannes 25 . Arrivée à l’aéroport dans l’avion privé de Bouygues. Dans le même avion, Étienne Mougeotte et Christine Ockrent. À peine à l’aéroport, transport à Cannes. À vrai dire, je ne réalise pas encore bien ce que l’univers Bouygues change dans la télévision que je connais. C’est l’avion privé qui me surprend le plus. Après tout, nous aurions tous pu prendre des avions de ligne. Mais non, nous débarquons à Cannes en grands vainqueurs du combat titanesque que viennent de se livrer Bouygues et Lagardère.
Sitôt arrivés, on nous transporte en voiture dans la grande salle à manger vitrée de l’hôtel le plus cher du monde, l’Eden Roc, dans lequel je n’ai mis les pieds qu’une seule fois, lorsque j’étais allée interviewer Jean François-Poncet qui y passait quelques jours de vacances.
Francis Bouygues nous y attend. Il est dans le Midi, lui, depuis le début du Festival. À ce propos, à peine avions-nous un pied sur la Côte que des journalistes hilares nous ont raconté, à Dutoit et à moi, que Bouygues avait confondu, hier, à la table où il était placé, l’actrice Jeanne Moreau et la maire de Cannes, Anne-Marie Dupuy. Cela en a fait rire plus d’un, évidemment, et la confusion a fait immédiatement la une de la petite chronique du Festival !
Inconscient des rumeurs de ce genre, Bouygues loge dans sa villa d’Antibes dont il nous fera faire le tour dans l’après-midi. Nous sommes près d’une trentaine autour de la table. En dehors des visages connus, comme celui d’Étienne Mougeotte, ou que je redécouvre, comme celui de Patrick Le Lay et de Cyril Du Peloux que j’avais rencontrés quelquefois l’année précédente, je vois comme dans un rêve Marcel Jullian, ancien président d’Antenne 2 nommé par Giscard en 1975, qui est pour la nouvelle équipe Bouygues aujourd’hui le principal expert en matière de programmes... Il y a là aussi Christian Dutoit, l’ancien lieutenant de Pierre Desgraupes, devenu celui de Mougeotte, qui est à peu près le seul d’entre nous à savoir vraiment comment marche une chaîne de télévision.
Le Lay, responsable de la diversification de Bouygues, a été d’une compétence inouïe pour mettre au point le dossier sur lequel la CNCL a pris sa décision d’attribution de TF1 au groupe Bouygues, mais il n’a de sa vie pénétré dans une salle de rédaction ni regardé un programme de télévision. Journaliste de radio, puis présentateurde télévision, Mougeotte a fait marcher Europe 1 pendant des années, puis Télé 7 Jours , mais pas une société de télévision. Moi, j’ai été dans une première vie journaliste de presse écrite, puis j’ai fait des règlements,
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