Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
générale d’Alain Juppé. Auparavant, solide à son poste, Philippe Séguin, qui s’apprête à donner la parole à Juppé et n’en pense pas moins, rend hommage au trublion du RPR qui vient de mourir, cette grande gueule de Robert-André Vivien, auteur de mémorables chahuts au sein de l’hémicycle : « Ni la République, dit-il à ce propos, ni la démocratie n’ont besoin de cœurs tièdes. »
Alain Juppé commence à parler à 15 heures passées de trois minutes. Les ministres sont au banc du gouvernement. Je remarque que François Bayrou est au second rang, comme en pénitence aprèssa participation au gouvernement Balladur. Interprétation abusive de ma part, sans doute...
Juppé parle de l’espérance qui a marqué l’élection de Chirac : celle d’un pacte républicain contre l’exclusion, pour l’égalité des chances, l’esprit de solidarité et la récompense du mérite. Cette espérance-là passe par la lutte prioritaire contre le chômage, par la croissance et par la réforme de notre système d’éducation.
Il n’est pas chaleureux, mais il parle clairement. Mon seul problème est que j’ai l’impression d’avoir entendu ce discours – sur le chômage et l’éducation, notamment – six millions de fois.
Restent les déceptions et les questions.
Déceptions : je m’attendais à je ne sais quoi, une sorte de petite révolution, un vent nouveau bousculant les immobilismes. Je m’attendais par exemple, comble d’audace, à un éclatement du ministère des Finances, celui qu’on nous annonce depuis des décennies. Rien de tout cela. Au contraire, des ministres dont les attributions semblent se chevaucher, sinon se contredire.
Questions : comment Alain Juppé compte-t-il mettre en musique les réformes qu’il propose et que Chirac propose avec lui ? À quel rythme, financées comment ? Le nouveau Premier ministre a dit, après son discours au Parlement, qu’il n’était pas dans ses intentions de donner des détails sur le collectif budgétaire. Tout de même, ne pouvait-il y faire allusion ?
6 juin
Premier déjeuner à Matignon avec Alain Juppé. La première question qu’on lui pose est sans originalité : quels seront ses rapports avec Jacques Chirac ? La réponse n’étonne pas : « Il n’y aura jamais, dit-il, de problème entre lui et moi. Le jour où nous serons en désaccord, je laisserai le terrain, voilà tout. D’où Bordeaux... » (sous-entendu : c’est pour cette raison que j’ai besoin d’une position de repli).
Sur le déficit menaçant, laissé, dit-il, par les gouvernements précédents, dont celui de Balladur : « La preuve que les choses n’allaient pas comme elles devaient aller, dit-il, c’est que Sarkozy a jugé bon, il y a quelques semaines, au dernier moment, de geler 20 milliards. C’est dire que l’argent filait trop vite. » Il ajoute : « D’où la nécessité de demander à Bercy de savoir où nous allons. » Il lance là une pierre dans un double jardin : celui de Sarkozy, ex-ministre, et celui d’AlainMadelin, l’actuel. Il attend du second qu’il fasse sans fard la lumière sur l’action du premier. Mais comme il doute de Madelin...
Nous parlons également de la Bosnie, « le piège », selon lui. D’entrée de jeu, l’amiral Lanxade en a fait les frais en même temps qu’il a eu droit, le premier, au langage sans détour de Chirac qui lui a reproché, dès les premiers jours de son mandat, de laisser le contingent français en Bosnie subir sans réagir toutes les provocations des tireurs serbes. « Il n’y a pas eu de véritable conflit entre Chirac et lui, précise Alain Juppé ; il s’agissait pour le Président de mettre les points sur les i : c’est lui qui commande. Jacques Chirac, même s’il ne parle pas, est derrière tout ce qui se fait en Bosnie, y compris bien sûr la constitution de la FRR. »
C’est peu dire que le gouvernement et le Président n’ont pas connu d’état de grâce. La victoire à peine savourée, le gouvernement est rattrapé par le dossier bosniaque, critiqué pour l’absence de chiffrage de ses réformes, notamment de celle du plan-emploi, confronté à une première série de mouvements sociaux et à la recrudescence des « affaires », enfouies pendant la campagne. Alain Juppé n’a pas des débuts faciles.
19 juin
Hier, second tour des élections municipales. Cinq semaines après le second tour de la présidentielle, on a donc revoté en
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