Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
par sa modicité, le loyer payé par Juppé pour son appartement de la rue Jacob donne des boutons à bien des Parisiens.
L’affaire du financement du RPR, autre étape obligée du parcours d’Alain Juppé, n’est pas exceptionnelle. Depuis le temps, tout le monde s’y est habitué.
Quant à la reprise des essais nucléaires, qui fait beaucoup de bruit ailleurs qu’en France, elle ne peut lui être reprochée par ses adversaires, puisque c’est à Chirac qu’on la doit.
Chacun de ces griefs, pris séparément, n’est pas un drame. Additionnés, ils deviennent lourds à porter.
25 août
Premier gros accroc à la vie gouvernementale : Alain Madelin vient de démissionner, sans attendre la rentrée, du ministère des Finances. Démission ou vidage ? Les deux, mon général : en parlant prématurément de suppression des avantages en matière de retraite des fonctionnaires, il a poussé, dans le silence du mois d’août, un cri de guerre que le Premier ministre n’a pas apprécié. Qu’il faille se pencher sur les avantages des uns et des autres, surtout au moment où l’on parle de réduction des charges de l’État, n’a rien d’extraordinaire. Le personnage Madelin n’est certes pas sans défaut, mais il n’a jamais mis dans sa poche son mouchoir libéral. Il ne fallait pas compter sur lui, aux Finances, pour se faire le défenseur des fonctionnaires. Seulement voilà : il a parlé trop tôt, ou trop brutalement, ou sans attendre le feu vert de Matignon. Juppé lui a reproché ses propos, Madelin a claqué la porte. Il a ainsi ouvert la voie à un premier remaniement gouvernemental : celui-ci, soit dit en passant, ne déplaît pas au Premier ministre, qui n’était pas, loin de là, un admirateur inconditionnel de Madelin.
Nicolas Sarkozy, que j’ai invité ce matin à l’antenne, n’est pas le moins du monde étonné de cette rupture. Il me raconte au contraire son déjeuner avec Alain Juppé – car ils ont déjeuné ensemble à Matignon – en plein milieu du mois d’août. Sarkozy avait écouté Juppé parler de Madelin, puis, quelques jours plus tard, il avait parlé de Juppé avec Madelin. Il a donc été le premier à comprendre que la collaboration entre le Premier ministre responsable et le ministre hérétique était compromise. Naturellement, il n’en avait rien dit.
Je n’oublie pas également que Dominique Ambiel, ami proche de Madelin qu’il a connu chez les Jeunes giscardiens, m’a parlé, pendant les vacances, le 20 août, du désir qu’éprouvait Madelin de prendre des distances. « Déjà ? » lui ai-je alors demandé, n’en croyant pas mes oreilles.
Le communiqué de Matignon tombe à l’instant précis où j’écris ces lignes, à 19 h 23 : « Le gouvernement veut la justice sociale et ce n’est pas en dénonçant les acquis sociaux que l’on peut réunir les conditions d’une solidarité accrue », y est-il notamment écrit.
Est-ce à dire qu’aujourd’hui, 25 août, le gouvernement, donc Jacques Chirac, a renoncé à mettre de l’ordre dans le système des retraites ?
15 septembre
Je comprends bien le problème d’Alain Juppé. Il lui faut créer une sorte de « sas » entre les promesses du candidat Chirac au printemps dernier et les exigences du budget 1996. Difficile de mettre l’accent sur la résorption des déficits lorsqu’on vient de gagner une élection sur la réduction des charges sociales. De s’indigner contre l’augmentation des dépenses de santé lorsqu’on a prôné pendant des semaines le comblement du trou de la Sécurité sociale par le retour massif des chômeurs à l’emploi – lequel retour massif ne se fait pas. De parler de solidarité et d’augmenter la TVA qui frappe tous les consommateurs français. Et le reste à l’avenant.
Chirac a longuement démontré, dans une phrase qui a fait florès, que « la feuille de paie n’était pas l’ennemie de l’emploi ». Difficile, après cela, de résister aux innombrables demandes de réajustement des salaires !
Deuxième difficulté dont je pense qu’elle n’est pas du fait d’Alain Juppé : Jacques Chirac aurait pu, aurait dû, après sa victoire, recoller immédiatement les morceaux de sa majorité. C’est vrai, les rapports avec Balladur et les siens étaient exécrables, mais c’est précisément parce qu’ils étaient exécrables qu’il fallait au plus vite passer l’éponge (la victoire pouvait y aider) au lieu d’évacuer
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