Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Premier ministre. Un soutien dont tout le monde doutait depuis décembre dernier, avec ces interrogations qui couraient dans Paris sur son éventuel successeur. Jacques Chirac a compris qu’il fallait que ce soit lui – et lui seul – qui redonne à Juppé sa crédibilité. C’est fait.
19 mars
François Baroin, que je vois aujourd’hui, est replié à l’Élysée, au cabinet de Jacques Chirac, depuis qu’il a quitté le gouvernement Juppé. L’origine de sa mésentente avec lui : Juppé était persuadé que, porte-parole du gouvernement, Baroin devait prendre la place de chacun des ministres et expliquer pour eux la politique suivie dans chacun des départements ministériels. C’était purement et simplement impossible : en imaginant que Baroin ait été capable de maîtriser tous les problèmes gouvernementaux, outre qu’il aurait mérité d’être Premier ministre, il se serait heurté frontalement à chacun des membres du gouvernement, bien décidés à garder pour eux l’essentiel de leur communication. Baroin pouvait relayer les informations, porter la parole de Juppé, et même, comme il l’a fait avant 1995, celle de Jacques Chirac, mais certainement pas intervenir dans tous les domaines !
C’est ce que n’a pas compris Juppé et ce qu’il a sanctionné aussitôt. Évidemment, les rapports entre les deux hommes ne sont pas excellents. Tout en se défendant de nourrir je ne sais quel ressentiment envers le Premier ministre, Baroin ne laisse pas passer une occasion de lui tailler un costume. Ainsi : « Chirac, me dit-il, veut garder Juppé le plus tard possible parce qu’il travaille bien avec lui et n’aime pas changer ses habitudes, et puis aussi parce que le découplage entre les deux cotes de popularité, la sienne, qui n’est pas mauvaise, et celle de Juppé, qui plonge, ne lui déplaît pas. »
Il reste qu’il s’agit maintenant de gagner les élections législatives de 1998. Baroin ne pense pas qu’en l’état actuel des choses Alain Juppé puisse conduire les troupes à la bataille. Or Chirac, m’assure-t-il, n’a pas envie d’affronter une cohabitation. Il est donc, sur ce point, comme moi, d’un avis diamétralement opposé à celui d’Antoine et Simone Veil qui pensent que Chirac fait tout, au contraire, pour rechercher une cohabitation. Baroin estime, lui, que Chirac ne juge pas possible ni souhaitable de gouverner avec ses ennemis tandis que ses amis politiques seraient au repos : d’abord parce qu’il lui faudrait tenir quatre ans, de 1998 à 2002, et non pas deux, comme l’a fait à deux reprises Mitterrand, en 1986-1988 et 1993-1995 ; ensuite parce que c’est tout bonnement contraire à sa nature. « C’est un être d’enthousiasme, me dit-il, qui souffrirait d’avoir à ménager les uns et les autres, si tant est d’ailleurs qu’il sache le faire. »
Il me décrit aussi les clans qui se sont formés à l’Élysée : Villepin a le sien, dans lequel il compte bien sûr Gourdaud-Montagne, resté, lui, à Matignon auprès de Juppé ; Baroin est plutôt derrière Maurice Ulrich avec Jean-Pierre Denis. Les deux clans coexistent, comme jadis Jobert et Juillet, en s’ignorant ou presque.
Il faudra que je revienne sur Dominique de Villepin, que je ne connais pas et dont le personnage, tel qu’on me le décrit, paraît intéressant : il est, dit-on, aussi enthousiaste vis-à-vis de Chirac que celui-ci l’était vis-à-vis de Georges Pompidou. Avec un physique de jeune premier romantique qui ne gâche rien et une culture politiquequi lui a été transmise par son père, président depuis des années de la commission des affaires étrangères du Sénat 15 .
20 mars
Conversation avec Hervé de Charette. Matignon, selon lui, aurait intérêt à ce que Madelin préside l’UDF, et pas François Léotard dont, dit-il, « la politique de soutien critique au gouvernement risque de devenir rapidement insupportable ».
Je comprends que, disant cela, il joue au billard à trois bandes. Il sait que Juppé est hostile à Madelin, puisqu’il l’a vidé du gouvernement. Charette s’efforce donc de convaincre ceux qui nous gouvernent que, tout compte fait, pour eux Madelin serait préférable à Léotard. L’union Bayrou-Léotard, celle dont me parlait François Bayrou la semaine dernière, lui paraît contre-performante ; il me décrit le Parti républicain comme une formation quasi totalitaire qui broie ceux qui ne sont pas de l’avis de
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