Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
raisons qui ont conduit à l’abandon d’un programme de transition vers le socialisme. Certains lui ont tourné le dos ; d’autres font comme s’il pouvait encore être appliqué. Les communistes et les mouvements d’extrême gauche, eux, font comme si le mur de Berlin était toujours debout, comme si le communisme débarrassé du stalinisme était encore l’avenir du monde. Et puis, insiste-t-il, le PS est en retard, systématiquement, sur la prise de conscience et surtout sur l’analyse d’un certain nombre de problèmes : la mondialisation, les transformations intervenues dans le monde du salariat ; il ne se dépêtre pas de la difficulté de proposer des projets rassembleurs au moment précis où les revendications corporatistes sont prédominantes. »
Il ne voit pas, de ce point de vue, que les socialistes aient accompli beaucoup de progrès depuis leur cuisant échec de 1993. Le PS, me dit-il, désabusé, a encore du chemin à faire « avant de revenir au pouvoir et d’y rester ».
Il ne pense pas que les prochaines élections législatives, en 1998, soient gagnables par la gauche, d’autant moins, me dit-il, que le découpage concocté par Charles Pasqua avant 1995 est pénalisant pour elle. En revanche, il croit que si le Parti socialiste revenait au pouvoir à ce moment-là, il vaudrait mieux qu’il approfondisse auparavant sa réflexion sur l’évolution du monde, la démocratie et le marché.
9 avril
Peut-être est-ce la trêve, pour Alain Juppé. La situation politique s’est apaisée depuis l’hiver. La bagarre au sein de l’UDF a polarisé toute l’attention pendant près de trois mois. Du coup, depuis le début d’avril, Juppé rame dans des eaux calmes. Il a montré qu’il savait ne pas ployer sous les attaques, malgré ses airs d’écorché vif. Qu’il savait résister comme, cette semaine, en matière de santé. Et éventuellement retourner les coups, comme dans l’affaire Auberger.
La France entière découvre que Juppé se « chiraquise » progressivement. Comme Chirac, il a entamé une sorte de tour de France. On le voit un jour dans les Ardennes, un autre dans les montagnes, un autre en Guyane et aux Antilles, serrant des mains et embrassant des bébés. Époustouflant ! En bon normalien qu’il fut, en bon élève qu’il est resté, si on lui en laisse le temps, il va apprendre à gérer son comportement et son « look » – terme exécrable employé par les spécialistes de la communication. On sent derrière le nouveau Juppé l’ombre de Chirac et l’autorité de Jacques Pilhan 20 .
Et ça marche : les sondages le montrent sortant des profondeurs abyssales où il avait plongé. Avec 42 % des Français qui lui font confiance 21 , il atteint son nirvana.
12 avril
Lionel Jospin réussit là où beaucoup de ses prédécesseurs ont échoué : les multiples chefs et sous-chefs du PS se taisent. On ne les entend plus scier la branche sur laquelle ils sont assis, c’est-à-dire, en l’occurrence, poursuivre le jeu de massacre contre eux-mêmes.
24 avril
Alain Juppé a renoué aujourd’hui avec une pratique mise en sommeil depuis plusieurs mois : le déjeuner des dirigeants de la majorité à Matignon. C’est drôle de les voir grimper les marches du perron, chacun à sa manière. Il y a ceux qui les escaladent en courant, ceuxqui montent pesamment, ceux qui recherchent l’objectif des photographes, ceux qui les évitent, ceux qui sourient, ceux qui font la tête. Deux n’étaient pas là : Édouard Balladur, qui s’est excusé, disant qu’il avait un rendez-vous impératif avec l’évêque de Chartres, et Philippe Séguin, qui n’a pas fourni d’excuses.
À l’issue du déjeuner, Juppé a annoncé qu’il comptait recommencer le mois prochain. Tout est donc fait pour montrer qu’il restera à Matignon, qu’il conduira la majorité aux prochaines élections législatives de 1998. Ceux qui rêvaient de le remplacer en sont pour leurs frais.
Sur le terrain, les ordonnances sur la santé et la réforme du système hospitalier passent mal chez les médecins, qui ne veulent pas entendre parler de la maîtrise comptable des dépenses de santé. Les conclusions de la commission parlementaire sur l’immigration vont loin dans l’aggravation des lois Pasqua, déjà pas mal répressives. On parle, pour la semaine prochaine, de la réforme des allocations familiales que le gouvernement voudrait subordonner aux ressources des ménages
Weitere Kostenlose Bücher