Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
règle, et, de toute façon, tout au bout, l’échec. »
D’où la campagne en primaires pour la présidence de l’UDF, dans laquelle il s’est lancé cette année, sans doute au mépris de sa santé. Il a 54 ans, il a failli mourir 19 en juin dernier ; il pense que c’est sa dernière chance de pouvoir un jour faire acte de candidature à l’Élysée.
31 mars
Léotard est ce genre d’homme qui fait de la politique avec constance, habileté, âpreté même – on vient de s’en rendre compte –, et qui affecte de regretter de ne pas faire autre chose. Il en donne la démonstration aujourd’hui encore alors qu’il vient d’être élu à la place de Giscard à latête de l’UDF. Il paraît toujours étonné de tant de bonne fortune, comme s’il était un dilettante. C’est tout le contraire : il est méthodique et volontaire. Pas poète pour un sou, en ces circonstances. Il aime citer Péguy, mais pas quand il se bat pour le pouvoir. Aujourd’hui, à l’issue du conseil national de l’UDF, salle Tony-Garnier, à Lyon, c’est le soldat qui a gagné, pas l’amateur de littérature.
À noter : 1) Que Giscard n’a pas souhaité être là au moment où les résultats, prévisibles, ont été proclamés. Il se juge sévèrement trahi par Léotard et Bayrou, et l’a fait savoir. 2) Que l’ambition de François Bayrou est apparue clairement lorsqu’il a dit – et sa phrase sonnait déjà comme une mise en garde – à Léotard : « Il n’y a ni premier définitif, ni second à jamais. » C’est la définition même de la présidence tournante.
On verra plus tard quelles traces ces primaires vont laisser à l’intérieur de l’UDF. Les premières paroles de Léotard, devenu président de l’UDF, ont été pour la réconciliation. Madelin reste ; Rossinot aussi.
Pour faire quoi ? Tout est là : critiquer Chirac, se borner à harceler le Premier ministre afin de pouvoir un jour le remplacer, entrer au gouvernement à la faveur d’un remaniement en juin, jouer dès maintenant la présidentielle de 2002 ? Évidemment, à partir du moment où Chirac n’a pas voulu se réconcilier avec Édouard Balladur et les siens, il laisse le jeu ouvert sur sa droite. Il sera peut-être le premier à s’en repentir s’il ne parvient pas à stabiliser son septennat.
2 avril
Avec Gilles Martinet chez qui je déjeune aujourd’hui, nous parlons de Lionel Jospin qui est à peu près le seul dirigeant du PS – à l’exception évidemment de Michel Rocard – auquel il voue une grande estime. Depuis le congrès de Liévin, Gilles Martinet a pris ses distances avec le Parti au fur et à mesure que les rocardiens y étaient supplantés. Il continue à participer à des colloques, à donner des conférences en province, mais il ne participe plus au bureau national.
Je lui demande ce qu’il pense de la dernière charge de Lionel Jospin contre Chirac, avant-hier, à la convention nationale de L’Haÿ-les-Roses (le même jour que l’élection de Léotard à Lyon), et, plus généralement, de l’état du Parti socialiste. Dans la même phrase, Jospin dénonce tout ce qui marque la politique du pouvoir :« Avalanche des prélèvements sur les ménages, recherche systématique de la baisse du coût du travail, fonction publique et service public pris pour cible, choc avec le mouvement social, fin d’une grande politique de l’éducation, menace sur la protection sociale. »
On a beau dire qu’il n’est pas gai, Lionel Jospin, je trouve, moi, qu’il n’en est pas moins parvenu à remettre le Parti socialiste au travail (voir la dernière convention sur l’Europe, et le Forum de la gauche à Bercy aujourd’hui) et à lui redonner une espérance électorale (voir la dernière élection partielle du Var). Et puis, il me semble que les socialistes font moins étalage, depuis quelque temps, de leurs divergences et des luttes internes qui opposent les courants. À défaut d’être une vedette du show-biz, le premier secrétaire tient assez bien son parti. En tout cas, pour ce que j’en vois.
Gilles Martinet en convient, mais cela ne lui semble pas suffisant pour renouveler la réflexion nécessaire des socialistes. Il analyse avec moi, dans une de ces grandes fresques politico-historiques dont il a le secret, les faiblesses de la gauche française : « Le Parti socialiste, me dit-il, n’a jamais voulu analyser ce qui s’était passé entre 1981 et 1983, il n’a jamais donné les
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