Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
va changer d’avis.
D’autant que Juppé, avec l’appui du chef de l’État, a résisté à tout depuis sa nomination : à son affaire d’appartement, aux grandes grèves, aux tirs groupés des balladuriens. On voit mal ce qui pourrait lui arriver de plus fâcheux. Il tente même, en ce moment, une timide ouverture en direction des balladuriens, dans la perspective des élections législatives de 1998 pour lesquelles il faudra bien que la majorité se ressoude. Plus question de parler de la « gestion calamiteuse » de son prédécesseur. « Beaucoup a été fait de 1993 à 1995 sous l’impulsion d’Édouard Balladur », a-t-il au contraire déclaré aux cadres du RPR lors de cette convention au Palais des Congrès.
7 mai
Je me demandais ce qu’était devenu Madelin depuis sa défaite à la tête de l’UDF. À l’issue du congrès du 31 mars, il avait annoncé qu’il resterait à l’UDF, mais les choses, en réalité, sont plus difficiles qu’il ne le pensait : depuis trois mois, ses anciens amis ne cessent de lui reprocher son comportement. Tantôt il en fait trop en réunissant par exemple son club « Idées-Actions » à des moments où l’UDF réunit son conseil national, comme c’est arrivé l’autre jour. Tantôt il nes’implique pas assez dans la vie du mouvement, et n’en fait qu’à sa tête.
Il est vrai que je trouve depuis des années qu’Alain Madelin est, en soi, une énigme politique. J’ai eu du mal – j’en ai toujours – à me faire à ses manières brutales, parfois à la limite de la grossièreté. Interviewer Madelin au petit matin, comme je le fais à RTL, relève du sacerdoce : je ne sais jamais s’il arrivera bourru et muet, ou bien prolixe et enjoué. Son itinéraire est, par bien des côtés, paradoxal : issu d’une famille modeste – son père était ouvrier chez Renault –, il a milité, tout jeune, dans les rangs très anticommunistes du mouvement d’extrême droite Occident, pour adhérer, derrière Valéry Giscard d’Estaing, au parti républicain indépendant en 1968. Aujourd’hui, il se veut le leader le plus libéral sur le marché et se défend avec la dernière vigueur de ne pas être social. Homme de la « bande à Léo », il a été le premier à s’opposer à lui en 1994 lorsque celui-ci a choisi Balladur. Madelin, lui, avait déjà choisi Chirac. Il a été l’homme de l’« ascenseur social » dans le mouvement giscardien dont la promotion sociale était le cadet des soucis. Il s’est fait une spécialité de la lutte contre les élites – c’est d’ailleurs ce qui l’avait rapproché de Jacques Chirac – et pourtant les patrons d’entreprises financent son club « Idées-Actions ».
Ces paradoxes ne sont peut-être que de surface : je n’ai aucun moyen d’en juger, puisque c’est un homme qui fait peu de confidences, en général, en particulier à moi.
Toujours est-il qu’il vient de critiquer très sévèrement, dans Le Figaro de ce matin, le septennat de Chirac en matière de politique économique et sociale : « Les dépenses nouvelles auraient dû être financées par le redéploiement des dépenses existantes », « les rares marges de manœuvre disponibles auraient dû être investies dès 1996 dans la réforme fiscale », « quant à la création de richesses et d’emplois par la stimulation de forces vives [...], force est de constater que l’on a, à ce jour, davantage poursuivi les politiques d’hier qu’engagé des politiques nouvelles ».
La diatribe de Madelin tombe au moment où un groupe de journaux de province publie un sondage Sofres, réalisé fin avril 23 , assez dur pour Chirac : 34 % seulement des Français interrogés considèrent son bilan comme positif, 57 % le jugeant négatif. Pis : les avis les plus négatifs (84 %) portent sur la lutte contre le chômage.
Il y a là comme une malédiction Juppé. Quoi qu’il fasse, ça ne marche pas. Jusqu’à présent, cette année 1996 a été certes plus sereine que la précédente. Il n’empêche, j’ai parfois l’impression que c’est une année pour rien : les sondages fluctuent mais, dans l’ensemble, la cote de Chirac reste mauvaise, celle de Juppé encore pire, la plupart des réformes passent mal, ou pas du tout. Depuis janvier, j’ai l’impression d’écrire la même chose en comptant les hauts et en reprisant les bas, comme dirait Chirac...
21 mai
Dans le tragique feuilleton entre la France et
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