Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
l’Algérie, la mort des sept moines français de Tibérine est sans équivalent 24 . Il est évidemment difficile d’établir une gradation dans l’horreur entre l’institutrice algérienne qui vient d’être abattue par les terroristes parce qu’elle apprenait, sans voile, le français à des enfants, et le cas de ces sept moines dont on apprend aujourd’hui, après deux mois d’angoisse, qu’ils ont été assassinés. Deux mois d’attente, deux mois de communiqués, de démentis, pour en arriver là : à leur mort tragique et inutile. Inexpliquée, de surcroît. Ils ne menaçaient personne : l’Algérie était leur pays.
Y a-t-il eu négociation entre la France et les ravisseurs ? Un émissaire, coutumier des missions humanitaires, s’est-il rendu en Algérie, comme l’a affirmé, puis nié le prieur de l’abbaye d’Aiguebelle ? La polémique sur une éventuelle négociation est dérisoire. Cette affaire montre tout simplement qu’on ne peut pas maintenir la position officielle de la France, faite de confiance absolue aux dirigeants algériens pour assurer la sécurité et la survie des Français qui choisissent de rester en Algérie pour y vivre. Elle démontre au contraire la réelle faiblesse du président algérien face aux intégristes.
29 mai
Du colloque Balladur sur la croissance et l’emploi, qui vient d’avoir lieu et où j’ai passé une partie de la journée, je retiens deux choses :
La première est qu’Édouard Balladur a réaffirmé ses convictions en faveur de la réduction des dépenses publiques, et qu’il a donc donné raison à son successeur, Alain Juppé, qui la conduit. Réconciliation publique, donc, entre balladuriens et chiraquiens, au moins sur ce thème. Pour la réconciliation totale, le fruit n’est pas encore mûr...
La deuxième tient au discours de Philippe Séguin. Je l’ai écouté, comme d’habitude, de bout en bout : c’est une condamnation totale de tout ce qui a été accompli sous le septennat en cours par le gouvernement Juppé. Il fait du chômage le problème numéro 1 dans la France d’aujourd’hui. Le combattre doit être, dit-il, « non pas l’une des priorités, mais la priorité de l’action politique ». Je reprends des phrases entières de son propos, griffonnées sur mon carnet au fur et à mesure qu’il parlait : la « rusticité des critères de convergences de Maastricht » nous a interdit « de mener des politiques correctrices : au contraire, on a accentué la récession ». « Le chômage de masse » pèse « autrement plus lourd sur la confiance que la maîtrise des déficits publics ». Il a dénoncé « l’accroissement des inégalités » et affirmé que « les mouvements sociaux de novembre et de décembre derniers doivent nous servir d’avertissement ». Et, pour finir, il a regretté qu’« au nom de la libération des échanges, au nom de cette concurrence érigée en référence suprême de la construction européenne, nos industries traditionnelles aient dû se replier sous les coups de boutoir de la restructuration brutale ; nos services publics doivent aujourd’hui s’adapter ou disparaître ».
Dans l’atmosphère de réconciliation qui présidait plus ou moins à ce colloque, propice à rapprocher les points de vue de Balladur et Juppé, les propos de Séguin ont fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel azuréen. Cela n’en rend que plus intéressant, d’ailleurs, ce type de colloque où les intervenants, qui ne sont pas tous des politiques, mais aussi des spécialistes des questions débattues, parlent devant un auditoire plus politisé. Cela nous sort des débats internes aux partis, quels qu’ils soient, sur des thèmes rabâchés, avec un vocabulaire toujours le même et des conclusions connues d’avance.
4 juin
Où l’on parle de la réforme fiscale promise par le gouvernement Juppé depuis son installation à Matignon.
Hier, le Premier ministre en a donné les grandes lignes avant que le projet ne soit discuté au Parlement en septembre. C’est un peu la quadrature du cercle : comment baisser les impôts, ce qu’ont promis Jacques Chirac pendant sa campagne et Juppé à son arrivée rue de Varenne, et réduire en même temps les déficits ?
Juppé n’était pas pressé de s’emparer du dossier. Mais, dans sa propre majorité, il a eu à faire face à l’insistance de quelques poids lourds, dont René Monory, Nicolas Sarkozy et Édouard
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