Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

ou dans les emplois publics de haut niveau, c’est un poste de moins pour les hommes. Nul doute que les députés, sans oser publiquement contrer les femmes, surtout celles qui étaient sur le plateau, ont inscrit cela sur leurs tablettes et tentent par tous les moyens de s’y opposer.
    16 juin
    L’affaire Tiberi – autant ce qui lui est reproché que la façon dont la majorité gère l’affaire – paralyse les élus parisiens. Ils comprennent mal, comme ceux de l’opposition, le fonctionnement des sociétés d’économie mixte de la Ville de Paris, et ne savent rien du dossier de Jean Tiberi. La menace d’une mise en examen dans l’affaire du logement de son fils s’est éloignée, mais beaucoup de choses demeurent obscures. Pour l’heure, la majorité municipale s’est déclarée solidaire de lui. J’ai même entendu, au Parlement, un représentant de la majorité dire qu’en réalité les socialistes essayaient de détourner l’attention sur les Tiberi pour reléguer au second plan l’affaire Elf : son ancien président, Loïk Le Floch-Prigent, aujourd’hui à la tête de la SNCF, risque en effet prochainement d’être mis en examen. Œil pour œil, dent pour dent ?
    Le problème me semble plus grave encore. À qui Jean Tiberi a-t-il succédé ? À Chirac. Qui serait le premier atteint en cas de cafouillage ou de coulage sur les sociétés mixtes ? Chirac, bien sûr.
    Difficile de parler de tout cela avec Jacques Toubon, qui esquive le dialogue sur le sujet. Pense-t-il ou non qu’il est urgent de débarquer Tiberi pour épargner Chirac ? Il se dérobe à mes questions.
    23 juin
    Pour venir à cette émission, sur le plateau de « Polémiques », Jospin s’est fait couper les cheveux. Depuis longtemps il n’avait plus la crinière afro qu’il arborait, plus jeune. Aujourd’hui il a l’air d’un premier communiant ou d’un jeune marié. Costume bleu marine, cravatebleue, chemise bleue, son aspect est un peu conventionnel, mais il semble en forme, l’esprit combatif. Il faut dire que depuis des semaines il ne dit pas grand-chose, même s’il est avéré qu’il est parvenu à remettre le PS au travail. Les « Guignols de l’info » se fichent tout le temps de lui en le présentant comme l’homme politique le plus silencieux de l’arène politique.
    Eh bien, cette fois, il parle, et sur un ton très polémique qui correspond parfaitement au titre de l’émission. Alain Juppé a dénoncé la gabegie de la gestion socialiste ? « Parlons-en, riposte Jospin. Le déficit de la Sécurité sociale était de 10 milliards par an lorsque les socialistes étaient au gouvernement ; il est depuis trois ans – il met volontairement dans le même panier le gouvernement Juppé et le gouvernement Balladur qui l’a précédé – de 15 milliards par an. Le déficit budgétaire était de 250 milliards par an, il est depuis trois ans de 340 milliards... La qualité d’un homme d’État, ajoute-t-il fermement, c’est sa bonne foi, son honnêteté intellectuelle. Ce Premier ministre-là n’a pas d’honnêteté intellectuelle. »
    Autre angle d’attaque, la maîtrise des dépenses de santé : « Je ne critique pas a priori le gouvernement, dit-il, mais cette démarche n’était pas jugée utile par le candidat Chirac, et, à l’époque, le même Juppé défilait contre son principe. »
    Question, enfin, sur le tardif réveil des socialistes. « Nous avons été sanctionnés, répond-il, pour nos erreurs de 1993. Les Français sanctionneront la droite au pouvoir. »
    Une fois de plus, ce qui frappe chez Lionel Jospin, c’est d’abord son autorité : ce qu’il dit n’est pas frappé au coin du génie, il n’a pas de phrases aussi percutantes que celles de Mitterrand, et pourtant il émane de lui une force évidente. Son grand atout, c’est aussi qu’on ne saurait le soupçonner de mensonge ou de malhonnêteté. Aujourd’hui, c’est la première qualité que les Français demandent à leurs élus.
    25 juin
    Au Palais-Bourbon, les députés RPR sont sortis accablés de leur réunion de groupe hebdomadaire. Il y a quelques jours seulement, je trouvais que le climat à Matignon et dans la Chiraquie en général était meilleur. Pas euphorique, certes, mais plus détendu. Eh bien,patatras : l’angoisse s’est réinstallée en quelques jours chez les parlementaires qui s’en sont ouverts à Alain Juppé, lui-même assurément plus touché encore.
    Deux chiffres