Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
soignée.
Deux parties, donc, dans le texte de Jospin : d’abord la peinture noire du pouvoir, puis la description en rose du PS : celui-ci est au travail, les socialistes avancent dans l’unité, la gauche cherche les voies de son rassemblement. « Ainsi, conclut-il cette première partie, nous essayons de répondre à l’urgence tout en préparant la relève, si les Français nous choisissent. »
Deuxième partie : les propositions économiques. Là, il se fait plus vague. Jospin prend soin de remercier, avec un professionnalisme de premier secrétaire, tous les groupes de travail qui ont œuvré, sous la coordination d’Henri Emmanuelli, à mettre au point un texte qu’il qualifie à la fois d’audacieux et de réaliste : progression du pouvoir d’achat, réduction du temps de travail, rééquilibrage du système fiscal, lutte pour la justice sociale. Mais il n’entre pas dans le détail des mesures proposées ; il serait bien en peine de le faire puisque, dit-il, le travail des différents groupes n’est pas encore achevé 42 . Il annonced’autres thèmes de réflexion, d’autres groupes de travail pour l’année 1997 : éducation, immigration, écologie, sécurité. La réflexion est donc bien loin d’être terminée.
Tout cela donne néanmoins une image bien plus ordonnée, beaucoup plus « responsable » du PS, auquel Jospin et la plupart des dirigeants socialistes avant lui ne cessent de répéter, au cours de ce conseil national, qu’il doit se tenir prêt à la bataille en 1998. Du coup, cette perspective incite les différents chefs de bande à mettre une sourdine à ce qui les sépare, pour ne retenir que ce qui les réunit.
Chirac et Juppé auront réussi à mettre de l’ordre au PS. Prouesse !
12 novembre
La scène se passe à l’Assemblée nationale. Laurent Fabius interpelle Juppé sur le Zaïre et la possibilité d’une intervention française si la communauté internationale ne veut pas le faire. Sans rien dire, Juppé désigne Hervé de Charette, qu’il charge d’un geste de répondre à sa place.
Une voix ironique crie alors très fort, depuis les rangs de l’opposition : « Il n’y a plus de Premier ministre ! »
La situation est chaque jour plus difficile pour Juppé. Il ne goûte pas, mais alors pas du tout l’ironie de l’intervention du député de l’opposition.
Dans la salle des Pas-Perdus, j’ai une conversation avec Bernard Pons qui reste un des plus proches de Jacques Chirac. Il me raconte le dernier entretien qu’il vient d’avoir avec le Président : « J’ai dit à Chirac quatre choses. La première : ne dis pas qu’il n’y a auprès de toi qu’un seul Premier ministre, Juppé ; il y en a d’autres. Ne dis pas : il n’y a pas d’autre politique ; il est toujours inutile d’annoncer qu’il n’y a rien d’autre à faire. Ne dis pas : il n’y a rien à faire avec Helmut Kohl ; au contraire, il y a des tas de discussions qu’il faut avoir en direct avec lui. Ne dis pas : il n’y a qu’un partenaire social, c’est Nicole Notat ; il y en a d’autres... Sur ce dernier point, ajoute-t-il, j’ai gagné puisqu’il a tout de suite reçu Marc Blondel. »
Je ne le lui dis pas, mais j’imagine la scène : Bernard Pons, médecin du Lot, expliquant à Chirac la marche à suivre... Il doit falloir une énorme dose de gentillesse et de patience, de la part de quelqu’un qui est en politique depuis près de trente ans, et qui a été élu à la Présidence après avoir triomphé de tous les obstacles, pour écouterles mises en garde d’un député qui lui doit son élection. C’est cela aussi, Chirac : il ne traite pas ses amis en président de la République. Je ne suis pas sûre que les amis n’en profitent pas.
Le calendrier ? Bernard Pons prévoit une rupture entre Chirac et Juppé en janvier prochain. Qui, pour la succession ? Jacques Toubon ? Peut-être. Je suggère Philippe Séguin. « Il y en a d’autres », assure Pons. Lui-même ? Dénégation. Alors, un patron proche du RPR. Je demande : « Jérôme Monod ?
– Ce serait bien, me répond Pons, s’il n’avait pas, en ce moment, les casseroles de la Lyonnaise des Eaux. »
Alors Calvet ? François Pineau ?
« Ce qui est certain, m’assure Pons en mettant un terme à notre aparté, c’est que tant que des gens comme Léotard continuent à flinguer Alain Juppé de cette manière, jamais Jacques ne “démissionnera” son Premier
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