Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
j’en suis convaincu, poursuit-il, ce qu’on a voulu empêcher, c’est une autre perquisition, à la Mairie de Paris, celle-ci ! À l’Hôtel de Ville, ils en ont profité pour brûler un certain nombre de dossiers... Imaginez, conclut-il, que tout cela se soit passé en Amérique : je vous garantis que ce n’aurait pas été possible. »
Puis déjeuner avec Jean-Pierre Thomas 41 à qui je pose la question de la cohabitation Léotard-Bayrou au sein de l’UDF. Le ton monte inexorablement, m’assure-t-il, entre les deux hommes, même si une sorte d’équilibre a été dans un premier temps institué. Ainsi, depuismars 1996, date de l’élection de Léotard à la présidence de l’UDF, la coutume établie veut que François Léotard parle en dernier, et que, juste avant lui, s’exprime François Bayrou : comme pour mettre les deux dirigeants sur un pied d’égalité. « Il y a entre eux, me dit-il, une différence sur la notion même de l’UDF. Pour François Léotard, il s’agit d’une structure confédérale, d’une UDF fusionnée, solidaire. François Bayrou freine le mouvement, au contraire. Il n’est pas rare de voir des députés Force démocrate se désolidariser de l’ensemble du mouvement, prendre leurs propres initiatives, avoir leurs propres réunions. »
Alors, où en est la « tournante » ? Léotard cédera-t-il la place, à la présidence de l’UDF, à François Bayrou comme il s’y est engagé, à la fin de cette année ou de la suivante ? Pour le moment, m’affirme Thomas, l’idée est oubliée au Parti républicain.
« En tout cas, je sens, ajoute-t-il, que cela va chauffer à propos des institutions : Léotard souhaite un référendum sur le cumul des mandats, auquel il est favorable, et, d’une façon générale, sur le système institutionnel. Bayrou est hostile, lui, à toute forme de référendum. »
Le clivage vaut aussi pour l’Europe : François Léotard est européen, mais il ne veut pas de n’importe quelle Europe, d’une Europe à tout prix. « François Bayrou, lui, est “eurolâtre” : son rêve serait de créer un parti commun, une sorte de CDU commune à toute l’Europe. »
Piquant de voir à quel point ceux qui ont fait alliance pour contrer Madelin et, derrière lui, Chirac sont, au bout de quelques mois seulement, au bord de la désunion. Dès qu’il s’agit de partager le pouvoir, les hommes oublient leurs intérêts les plus immédiats.
Étienne Garnier, à qui je parle, en fin de journée, de la petitesse de certains affrontements politiques, me cite cette phrase de Malraux : il faut « se frayer une voie étroite entre le cynisme des uns et le désespoir des autres ».
9 novembre
Conseil national du PS. Les socialistes sont évidemment dopés par les difficultés que rencontre le gouvernement Juppé. Mais il n’y a pas que cela : l’autorité de Lionel Jospin s’affirme de jour en jour. Il a beau n’avoir obtenu que 47,3 % des voix à la présidentielle, il y a un an (pas de quoi se vanter, disait Mitterrand – voir plus haut), ilest évident qu’il ne se serait pas aussi bien imposé à la tête du parti s’il n’avait pas reçu l’onction de la candidature et obtenu ce résultat-là.
Je m’en aperçois une fois de plus, ce samedi matin, alors qu’il prend la parole après la discussion générale. Il est parvenu à faire taire, autant que possible, ou du moins à faire passer au second plan les antagonismes et querelles de courants. Il joue précisément sur le fait que, dans la situation du pays et celle de la majorité, l’opposition ne peut plus différer sa mobilisation.
Le texte de Jospin est distribué à la presse au moment où il débute son intervention. Il n’est pas imprimé : le service de presse n’a pas eu le temps de le mettre sur ordinateur ; c’est donc un manuscrit photocopié que j’ai sous les yeux. On y reconnaît l’écriture régulière de Jospin, ce qui prouve qu’il rédige lui-même intégralement ses discours. Je me dis que c’est peut-être pour en convaincre les journalistes qu’on nous distribue ce texte aujourd’hui.
En tout cas, l’exemplaire en ma possession est intéressant. Je ne suis pas graphologue, mais je pense qu’on pourrait aisément l’analyser. Il s’agit d’une écriture facile à lire, précise, sans fioritures, où les alinéas se distinguent bien, leurs titres étant soulignés avec soin. Soin, oui, c’est le mot : voici une écriture
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