Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
lorsque, au milieu des élèves ingénieurs de l’université de Haïfa, il a abordé, bille en tête, le problème : « Tant que les Palestiniens, leur a-t-il dit, ne pourront pas prendre en main leurs problèmes, tant qu’ils n’auront pas droit à la dignité reconnue à tous les autres peuples, frustration et amertume persisteront 37 . »
Évidemment, après cela, il a été accueilli dans le monde arabe comme un véritable héros. J’ajoute que l’incident 38 qui l’a opposé, dans les rues de la vieille ville de Jérusalem, aux forces de sécurité israéliennes qui repoussaient brutalement la foule composée essentiellement de journalistes, mais aussi d’habitants arabes des vieux quartiers, lui a assuré une popularité sans pareille dans les pays arabes.Après Israël il s’est rendu en Jordanie, puis en Égypte où il a achevé son voyage.
Je me dis qu’un périple comme celui-là porte Chirac au comble du bonheur. Par ce qu’il a dit, d’abord ; et, dans son cas, il s’est exprimé avec sincérité. Il connaît le monde arabe beaucoup mieux que ne le connaît le président américain et maints autres dirigeants européens. Lorsqu’il en parle, on sent bien que cet homme, qui n’a pas beaucoup de convictions, en a une sur le Moyen-Orient : sans État palestinien, pas de paix. De cela il est certain, sans la moindre restriction. Heureux, il l’est aussi du fait de l’écho qu’ont rencontré ses propos, et du succès personnel qu’il a remporté.
C’est évident : si tous les présidents de la République française font tant de voyages, c’est qu’ils connaissent là l’immense plaisir d’aller se faire ovationner à l’étranger quand il leur devient si difficile d’être applaudi en France.
En France, justement, les réactions à ce voyage sont loin d’être unanimes. Les gaullistes ou ce qu’il en reste se réjouissent. Les autres sont moroses 39 . Moi pas.
29 octobre
Corse, suite. François Santoni 40 , rentré depuis quelques mois dans la clandestinité, est passé aux aveux dans L’Est républicain . Il le fait avec la nette intention de ridiculiser le gouvernement français et surtout son ministre de l’Intérieur.
Santoni révèle aujourd’hui que le gouvernement, en janvier dernier, avant la démonstration de militants en cagoule à Tralunca, dans le maquis, était bel et bien entré en négociations avec les autonomistes. Il cite même le nom des négociateurs : il s’agit, selon lui, de Maurice Gourdaud-Montagne, directeur de cabinet d’Alain Juppé, et de son adjoint, Patrick Stefanini. Si Santoni parle aujourd’hui, c’est, dit-il, que le gouvernement n’a pas tenu ses engagements à l’égard des mouvements nationalistes.
Accusation de première grandeur, encore qu’elle émane d’unhomme en cavale dont la parole peut être mise en doute. Matignon dément, rappelle qu’il n’y a qu’une et une seule politique en Corse, celle du développement économique et de la restauration de l’autorité de l’État.
Il n’empêche : même si ce que dit Santoni dans L’Est républicain n’est pas parole d’évangile, on comprend la réunion du 11 janvier dernier, dans le maquis corse, de tous ces indépendantistes qui ont pu se déplacer en pleine nuit sans intervention de la police ou de la gendarmerie. Ce qui s’appelle bénéficier d’un sauf-conduit. À cette nuance près que les nationalistes corses ont cherché à en profiter pour ridiculiser ceux avec qui ils négociaient.
Le plus étonnant, dans tout cela, c’est que les journalistes de L’Est républicain aient pu retrouver François Santoni alors que les forces de l’ordre, elles, en sont incapables.
6 novembre
Robert Badinter me reçoit dans son appartement du V e arrondissement : au fond d’un immense couloir, habituel dans ces vieux immeubles, il occupe un petit bureau envahi par les livres.
Nous parlons de Jean-Louis Debré comme ministre de l’Intérieur au moment où l’agitation en Corse et l’activité des juges lui causent bien des soucis. « Debré ? me dit-il. Ce n’est pas un aigle. Sa qualification pourrait être : juge d’instruction détaché au ministère de l’Intérieur. »
Nous nous interrogeons encore sur l’épisode du juge Halphen et du refus de l’officier de police de l’accompagner au domicile des Tiberi. « Il faut qu’il y ait une affaire particulièrement importante qui se cache derrière cette perquisition. En vérité,
Weitere Kostenlose Bücher