Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
qu’il a dit à Jacques Chirac, mot pour mot, la phrase qu’il avait prononcée à l’émission « 7 sur 7 », le 27 octobre dernier : pour sortir de la crise, le Président a devant lui trois boutons, la dissolution, le remaniement, le référendum. Il me dit avoir recommandé à Chirac la troisième solution – un référendum sur la modernisation de la vie politique : cumul des mandats, quotas de femmes. Aujourd’hui que la montagne de la modernisation a accouché d’une souris, il faut qu’il trouve autre chose. » Remaniement donc ou dissolution.
Je l’interroge sur le PS. Il trouve que Lionel Jospin « n’est pas mauvais » ; il a compris qu’il fallait parler des problèmes de société, et pas d’économie. « Le PS essaiera de faire rêver, dit-il. Et, forcément, il remontera. Il suffira alors que le Front national remonte légèrement pour que la majorité soit battue. » Cette analyse débouche également, dans l’esprit de Léotard, sur la nécessité d’une dissolution.
Son jugement sur Philippe Séguin : « S’il était Premier ministre, il ferait la monnaie unique, comme Michel Debré a bien été obligé de faire la paix en Algérie. S’il était à Matignon, il préparerait le pays à la cohabitation. Car Chirac-Séguin, ce serait déjà une forme de cohabitation. »
Sur Helmut Kohl, grand maître en politique : « Il nous a dit, à Bayrou et à moi, il y a quelques mois : “Je vois que vous écrivez des livres, tous les deux. Un conseil : n’écrivez pas, faites de la politique !” »
Pour conclure notre conversation, Léotard entame son couplet, déjà beaucoup entendu, sur les mauvais traitements que le RPR fait subir à ses alliés de l’UDF. « Dans aucun pays d’Europe cela ne se passe ainsi au sein d’une coalition. De ce point de vue, la dernière discussion budgétaire a été lamentable. Nos propositions se sontheurtées à des refus permanents. Je veux bien que ceux qui nous dirigent passent plus de temps avec Jean-Pierre Soisson qu’avec l’UDF, mais cela ne me paraît pas très habile ! »
J’ai à peine achevé d’écrire ces lignes, à mon bureau de RTL, que Nicolas Sarkozy m’appelle au téléphone. Il a donc vu Juppé avant-hier. La rencontre a duré deux heures et demie. Il la résume ainsi : « Je lui ai dit qu’il ne pouvait pas se contenter d’un remaniement. Il lui faut des hommes, et il lui faut une politique. S’il n’a pas de politique, à quoi serviront les hommes ? » Frappé au coin du bon sens.
Il ajoute en riant : « Je lui ai dit aussi : pourquoi ne parles-tu pas davantage avec les gens ? Il m’a répondu : parce qu’ils n’y comprennent rien. »
19 novembre
Rencontré Patrick Devedjian qui, quoique ancien avocat de Jacques Chirac, a appartenu et appartient encore à l’équipe balladurienne. Il pense – du moins le lui a-t-on laissé croire – que le remaniement devrait avoir lieu la semaine prochaine. « Nous n’avons, dit-il, aucune certitude ni aucun encouragement. Néanmoins, nous avons posé nos conditions : que ce remaniement revête une certaine ampleur ; qu’il ait un sens politique. Par exemple, qu’il annonce des baisses d’impôt supplémentaires, une politique monétaire plus souple, avec une autre parité de l’euro, un euro égal à un dollar, c’est-à-dire une réévaluation du mark. » Ce qui passe évidemment par un dialogue avec l’Allemagne.
Pense-t-il que Balladur puisse faire sa rentrée au gouvernement ? « Non, m’assure-t-il, mais il accepte que nous entrions avec notre drapeau, et pas honteusement par l’entrée de service. »
Jean-Pierre Thomas me dit avoir vu Léotard après que celui-ci eut rencontré Juppé, puis Chirac. Le président de l’UDF lui a assuré s’être vu proposer Bercy. « Non, pas Bercy, l’a mis en garde Thomas, tu serais un otage de Juppé ! »
20 novembre
Le remaniement éventuel, dont la perspective semble se rapprocher de plus en plus, si l’on se fie aux confidences des proches de Balladur, suscite les sarcasmes d’Alain Madelin. « Allô, Juppé, bobo !SOS Balladur ! résume-t-il. À quoi bon changer Juppé si on ne change pas de politique ? Ou alors, il faut nommer Nicole Notat à sa place ! » Mais il ne désespère toujours pas de Chirac dont il me dit qu’il a une « capacité de rebond » plus grande que celle des autres.
Quant à une nouvelle négociation avec les Allemands sur Maastricht,
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