Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
lui non plus n’y croit pas une seconde.
28 novembre
Déjeuner avec Jean-François Copé 44 , juppéiste pur sucre, qui me raconte comment le secrétaire général de l’Élysée, Dominique de Villepin, a poussé des hurlements lorsqu’il a été question d’un remaniement qui ferait entrer pas mal d’ex-balladuriens au gouvernement. C’est pourquoi le remaniement est brutalement tombé à l’eau. Alain Juppé, lui, était convaincu qu’il fallait le faire, et surtout il ne voulait pas porter la responsabilité d’un refus. « C’est indécent, aurait dit Villepin. Ce n’est pas à Nicolas Sarkozy de constituer le gouvernement ! »
« Notez, plaisante Copé, que Léotard est beaucoup plus direct. Lorsqu’il déjeune avec Juppé, il ne dit pas : “Voilà le gouvernement qu’il faut faire.” Il dit tout simplement : “Si vous faites un remaniement, pourquoi pas moi ?” C’est plus clair, non ? »
Nous revenons ensemble sur la joute oratoire qui a opposé, au Parlement, Alain Juppé et Valéry Giscard d’Estaing sur l’Europe. Juppé n’encaisse pas l’attitude de Giscard, qui en a profité pour donner une leçon au gouvernement. « J’ai dit au gouvernement, a expliqué Giscard, surveillez le chômage, car c’est ce qui vous donnera raison ou tort. S’il monte, c’est que le réglage de notre économie est mauvais, et qu’il faut le changer. » Il s’est payé le luxe, au passage, de décerner un coup de chapeau à Séguin, qui, sur la monnaie commune, s’est exprimé, a souligné Giscard, « avec courage et lucidité ». Comme si tout avait été conçu, dans son intervention, pour mettre hors de lui le Premier ministre. Il ne l’avait jamais fait auparavant.
Au surplus, Giscard lui a volé la vedette : Juppé était très content de son discours, lequel a été complètement occulté par celui de VGE.
Juppé encaisse encore moins l’attitude de Philippe Séguin qui avait convoqué ses troupes au grand complet, alors que les autres députés RPR fidèles à Matignon ne l’avaient pas été par Michel Péricard. « Au surplus, les séguinistes ont écouté Giscard sans broncher. Ils auraient pu le siffler. Ils s’en sont bien gardés ! »
Bref, aujourd’hui, Juppé est furieux, découragé, prêt à passer la main.
Ce n’est pas le cas de Copé, que je connais peu : je le trouve très pugnace, combatif, très jeune aussi (ceci explique sans doute cela), prêt à combattre pour Juppé plus que celui-ci n’est capable de se battre pour lui-même.
Au passage, dans notre conversation, il m’a brossé un véritable portrait politique de Dominique de Villepin. Il en parle comme de l’âme de l’Élysée, dévoué au Président, moins prêt à pardonner la « trahison » de Nicolas Sarkozy que Chirac lui-même. On en reparlera.
1 er décembre
Jospin, qui reçoit les journalistes aujourd’hui, met l’accent sur l’échec de Chirac. Face à cela, il souhaite, dit-il, que « les socialistes puissent représenter un pôle de stabilité ». Il décline les désordres du pouvoir actuel : désordre en Corse, dit-il, où « le gouvernement est passé de la connivence clandestine à un bras de fer dont on ne voit pas sur quoi il débouche ». Désordre de la justice, désordre chez Thomson, pas d’autorité sur les problèmes monétaires. Dans cette situation, dit-il, « il faut un langage de responsabilité... Chaque jour qui passe, assure-t-il enfin, le Parti socialiste est plus prêt ».
2 décembre
Michel Rocard a déjeuné le 25 novembre dernier avec Olivier Mazerolle qui me raconte aujourd’hui ce repas. Il lui a parlé de Jacques Chirac en ces termes : « C’est un homme très sympathique, il est beaucoup moins menteur que François Mitterrand. »
Il a brossé à l’usage de son interlocuteur cette fresque personnelle de l’histoire du socialisme : « Le PS, dit-il, a eu quatre cadavres dansson histoire : le congrès de Tours en 1920 ; le déshonneur, avec le vote des socialistes pour le maréchal Pétain à Vichy en 1940 ; la honte, avec Guy Mollet et l’Algérie en 1956 ; et puis la prise du pouvoir par Mitterrand qui s’est terminée par la honte et le déshonneur. »
Pourquoi diable a-t-il alors participé à cette entreprise ?
4 décembre
À 18 heures, hier soir, une bombe a explosé dans le RER à la station Port-Royal. L’explosion ressemble beaucoup à la précédente, celle de la station Saint-Michel 45 .
Weitere Kostenlose Bücher