Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
définitive, qu’il n’a pas renoncé à être Premier ministre, à être une carte dans le jeu de Chirac. Sinon, sillonnerait-il la France ? S’efforcerait-il de démontrer à la France entière, comme il l’a fait il y a quelques semaines en petit comité à Bruxelles, qu’il est plus européen que ne le croit le pays ?
Dans la soirée, départ pour Avignon avec Lionel Jospin. Après lui, j’aurai en quelque sorte bouclé la boucle, puisque j’ai suivi deux leaders de la majorité et deux de l’opposition.
Jospin se montre prudent sur l’issue de la consultation. Les sondages sont serrés, il le sait. De là à traduire le nombre de voix en nombre de sièges gagnés par les socialistes, il y a de la marge. « Les sondages locaux, me dit-il, nous situent tous dans une fourchette haute. Mais il n’est pas impossible que ce soit dû à quelques personnalités : Élisabeth Guigou, moi, François Hollande... »
Autre question-clef dont je n’avais pas du tout parlé avec Fabius : le comportement du Front national. Quelle sera la décision de Le Pen ? Laisser en place ses candidats partout où ils peuvent se maintenir ausecond tour ? S’ils ne se maintiennent pas, que choisiront les électeurs ? « Aux trois cinquièmes pour la droite » : c’est le pronostic de Jospin.
« Les choses sont ouvertes, poursuit-il. Nous n’étions pas les favoris au départ de cette campagne. Et puis, aujourd’hui, la majorité n’est pas du tout tranquille. Nous devons utiliser, il me semble, cet argument essentiel : la majorité sortante met en doute son propre chef de campagne. »
Pense-t-il qu’il a eu tort de répondre à Chirac 29 ? « Il m’était difficile de répondre en quelques heures. J’ai fait un texte, me dit-il, qui ne s’adressait pas aux éditorialistes parisiens, qui s’adressait en revanche aux Français. Aucun regret : il écrit, je réponds. Ma réponse à Chirac, c’est celle d’un chef de bataille des législatives qui pense qu’il ne faut pas laisser le champ libre, tout un week-end, au chef officieux de la majorité. »
Quant aux communistes, il ne veut pas s’en préoccuper outre mesure : « C’est à eux, me dit-il, de faire leur choix et de décider s’ils entrent ou pas dans le gouvernement. Je ne vais pas commettre l’erreur de me mettre sous leur dépendance. »
Comme je lui demande s’il a l’impression, ce faisant, de désavouer Mitterrand et toute la lutte passée pour le programme commun, il me répond d’une phrase qui montre à quel point lui-même se pose cette question : « Je fais plus pour la pérennisation de l’action de Mitterrand que bien d’autres. »
Il dit encore : « Le pluralisme de la gauche n’est pas incohérence. Je suis pour la polyphonie, et non pas, évidemment, pour la cacophonie ! »
16 mai
François Léotard à l’antenne, au petit matin, sur RTL. Il est plein de formules assassines sur Philippe de Villiers, son ancien copain : « Ce Le Pen de sacristie qui sera, le 25 mai, responsable de la non-élection, au premier tour, de dizaines de députés de la majorité. » Sur Jean-Marie Le Pen, « ce parachutiste de bistrot ». Il n’y a que sur l’éventuel maintien d’Alain Juppé à Matignon qu’il emploie la langue de bois. Il me répond hors antenne : Chirac, lorsqu’il a procédé à la dissolution, envisageait, selon lui, de garder Juppé ; peut-être, en cours de campagne, a-t-il changé d’avis. « Rideau de fumée ou conviction ? s’interroge-t-il. Mystère ! »
20 mai
Le matin, Alain Juppé sur RTL ; le soir, Chirac sur TF1.
Juppé : rien à dire sur les vingt minutes d’émission. C’est à la sortie du studio qu’il envoie leur paquet à tous ceux qui, dans la majorité, conjuguent leurs efforts pour qu’il ne reste pas à Matignon après le 1 er juin. Sur Léotard qui réclame une rénovation de la vie publique : « Le jour où il sera Premier ministre, si ce jour arrive, il verra ! » Ce n’est pas sur François Léotard, au demeurant, qu’il se montre le plus rude : il convient qu’il l’a plutôt aidé, au cours de la campagne. Mais les autres leaders de la majorité en prennent pour leur grade. Édouard Balladur : « J’ai eu quarante milliards dans la vue, car il avait mis au pot les quarante milliards des privatisations. Il ne faut pas qu’il me grattouille, le camarade Édouard ! » Madelin ? « Il a été moins nocif qu’on aurait pu le
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