Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Notre double légitimité, comme directeurs sur la Une et la Deux, semble convenir aux deux candidats. Dire que cela fait plaisir à tout le monde au sein de nos deux rédactions serait trop dire. Nous n’avons pas le temps d’entendre récriminations et protestations que nous nous enfermons pour travailler à nos questions.
Un mot sur ces débats présidentiels. Ils n’ont rien à voir avec les débats habituels sur les chaînes de télévision. Dans l’état actuel de la loi qui prévoit toutes sortes de garde-fous pour qu’aucun des candidats ne se sente lésé par le débat, il est naturel que les candidats puissent choisir d’un commun accord leurs interlocuteurs. Au moins ne peut-on pas dire que leur choix a été sectaire, puisqu’ils sont deux, dans des camps différents, à tomber d’accord sur deux noms.
De toute façon, je ne vois pas pourquoi tous les journalistes se battent pour l’animer, ce grand débat. Obligés de respecter les temps de parole à la minute près, de diviser l’émission en quatre parties à peu près égales : politique intérieure, extérieure, économique et sociale, ils risquent d’apparaître davantage comme des chronométreurs que comme des journalistes.
Inutile pourtant de me le cacher : je suis rudement contente d’animer ce deuxième débat, sept ans après le premier ! Il me semble que le face-à-face Giscard-Mitterrand date d’un siècle. J’aurai sans doute moins peur, cette fois-ci, qu’en 1981, époque à laquelle je n’avais encore jamais fait de télévision.
28 avril
Je m’attendais – nous nous attendions, Élie et moi – à un débat académique, sans aspérité, sans relief, puisque après tout Mitterrand n’avait plus aucune raison de douter de sa victoire. Cela a été au contraire un débat électrique, chargé de passion, d’esprit de revanche, d’antagonismes et de règlements de comptes. Inouï !
Le studio, les coulisses, les salons de maquillage, tout était exactement les mêmes qu’en 1981. Le décor m’a semblé moins bleu 19 . Ilfaut dire que la table beige en était le cœur. Lorsque j’ai fait un tour de reconnaissance sur le plateau avant de commencer, le décorateur, cheveux gris, grosses lunettes, était en train de procéder à la dernière mise au point. Les candidats – n’était-ce pas plutôt leurs entourages ? – avaient exigé d’être à un mètre soixante-dix l’un de l’autre. Pourquoi ? Pour ne pas être tentés de se taper dessus ? Non, sûrement pas. Alors, quelle hypothèse pour ce mètre soixante-dix ? Je n’aurai pas la réponse.
Chirac et Mitterrand sont arrivés à peu près en même temps, chacun s’isolant avec ses proches dans une loge différente. Nous avons dit bonjour à l’un et à l’autre, assez brièvement. Mougeotte et Le Lay, pour TF1, Claude Contamine pour Antenne 2 20 , étaient sur le pied de guerre, ainsi que le président de Radio France, Roland Faure 21 , en tant que maître des lieux, puisque le débat avait lieu dans le même sempiternel studio 101 de la Maison ronde.
Et puis nous nous sommes enfermés dans le décor choisi, avec le minimum souhaitable de techniciens et de conseillers. En régie, Jean-Luc Léridon était aux manettes, assisté du conseiller en images de Mitterrand et de celui de Chirac.
Je relirai ce débat plus tard, bien sûr, mais, à l’instant où j’écris, il vient de se terminer il y a deux heures et me laisse une très forte impression.
Je pensais que, sûr de sa victoire, Mitterrand aurait tendance à lâcher du lest ; c’est tout le contraire qui s’est produit. Jamais je n’ai autant senti la rage de vaincre de Mitterrand. Il n’est tendre avec personne, certes, mais ce soir... !
Il a voulu écraser Chirac et celui-ci n’a pas osé le bousculer : c’est le résumé le plus simple de ce qui s’est passé.
Il y aurait des tas d’autres choses à en dire, mais, pour l’heure, à peine sortie, j’en retiens l’affrontement sur Walid Gordji 22 . D’une force, d’une férocité à couper le souffle !
Je ne suis pas sûre d’avoir tout apprécié à sa juste valeur, sur le moment, notamment l’effet que l’échange a pu avoir sur les Français, mais j’ai senti – nous avons senti, avec Élie Vannier – que nous vivions un grand moment de télévision : en gros, Mitterrand a reproché à Chirac de lui avoir assuré, dans le secret d’une conversation en tête à tête, que le dossier contre Walid
Weitere Kostenlose Bücher