Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

électeurs de chacun. La seule question est de savoir si une frange des électeurs barristes peut préférer Mitterrand à Chirac, et quelle proportion d’électeurs du FN voteront pour Chirac au second tour 24 .

    30 avril
    Prise d’otages en Nouvelle-Calédonie. Mitterrand est favorable au dialogue, Chirac parle de l’autorité de l’État « face aux menaces d’une poignée de terroristes ». On mesure l’abîme qui les sépare au sujet de la Nouvelle-Calédonie. Ce qui est terrible, c’est que, dans cette phase du processus électoral, chacun d’eux est en réalité privé du pouvoir d’agir.

    5 mai
    Coup de théâtre de dernière minute qui me fait un drôle d’effet : les trois otages français encore détenus au Liban ont été libérés aujourd’hui. Je suis allée à Villacoublay, car il m’a paru nécessaire de montrer la solidarité des journalistes de la Une envers les deux diplomates et surtout le journaliste Jean-Paul Kauffmann. Ce qui m’a perturbée, ce sont ces images, que je n’oublierai jamais, où l’on voit Jean-Paul Kauffmann mettre du temps avant de reconnaître son fils qui a beaucoup grandi pendant la captivité de son père. J’ai l’impression d’être un voyeur à l’instant où ces gens-là ne devraient être qu’entre eux, en famille. De profiter d’images très intimes qui ne me sont pas destinées.
    En même temps je suis contente pour eux. Après un coup pareil,voici Jacques Chirac, omniprésent sur le tarmac, relancé pour le second tour.

    6 mai
    Assaut donné hier par les militaires dans la grotte d’Ouvéa, en Nouvelle-Calédonie. Les gendarmes ont été délivrés, les indépendantistes ont été tués. Par-delà le drame que cela représente, une certitude : les électeurs du Front national seront à coup sûr sensibles à cette libération par la manière forte. Je ne suis pas au courant des autres détails de cette opération. Mais je me pose comme tout le monde la question : en cette période hybride, à quelques jours d’une élection capitale pour la vie politique française, Chirac pouvait-il encore prendre cette décision ? Mitterrand a-t-il laissé faire ? A-t-il autorisé l’intervention militaire ? Qui sait si Chirac n’engrange pas électeur sur électeur, en ces quelques jours précédant le second tour 25  ?
    J’assiste à la dernière réunion publique de Mitterrand qui se tient, comme en 1965 et en 1981, à Toulouse. Il y a encore plus de monde, plus de chaleur, plus d’enthousiasme pour le candidat de gauche qu’en 1981.
    Lui, malgré Ouvéa, malgré Carton, Fontaine et Kauffmann, est sûr d’être élu. Il dit simplement, à un moment donné : « J’ai peut-être perdu – sous entendu : avec ces libérations et cette offensive calédonienne – un demi-point. »
    Parmi les journalistes qui suivent la campagne depuis le début, tous me disent que c’est effectivement la réunion la plus intense à laquelle ils aient assisté. D’autant plus que Mitterrand, après le débat télévisé qui a révélé à tous la profondeur de son antagonisme avec Jacques Chirac, même si l’un et l’autre ont donné le change depuis deux ans, ne se prive pas de parler de la cohabitation à laquelle il s’est plié et qui, à l’entendre ce soir, n’a pas été une partie de plaisir. Il parle sur un ton calme, malgré l’extraordinaire charivari autour de lui, de la résistance dont il a fait preuve pendant ces quelques mois face à la droite. Les militants lui réservent un triomphe.
    En reprenant l’avion des journalistes dans la nuit, Jean-Luc Mano 26 me fait remarquer, ce à quoi je n’avais pas assez prêté attention, que le nom du futur Premier ministre était clairement avancé dans le discours au détour d’une phrase. Le Président a rendu hommage à ses « bons soldats ». Il a cité Mauroy – dont on ne peut pas croire qu’il revienne à Matignon après y avoir été. Laurent Fabius ? Il y a également été. Difficile de le remettre à ce poste après l’échec de 1986. Les deux autres noms cités sont ceux de Lionel Jospin et de Michel Rocard : le Premier ministre sera l’un d’eux. Plus probablement Michel Rocard, puisque celui-ci n’a même pas eu cette fois de velléité de candidature. Tout cela a dû être arrangé entre Mitterrand et lui depuis la fin de l’hiver dernier. Avec une piqûre de rappel en avril, au moment de leur promenade rurale...

    7 mai
    Maurice Faure, que Mitterrand a