Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
emmené à La Haye, hier samedi, participer à la cérémonie anniversaire du traité de 1948 27 , me raconte qu’il a trouvé Mitterrand en pleine forme. Il a même donné sa prévision sur le résultat présidentiel : « 54 % », lui a-t-il dit.
Lorsque je lui demande qui, à son avis, sera Premier ministre, Maurice Faure n’hésite pas. Pour lui, ce sera Rocard.
8 mai
Second tour. Sur le plateau de TF1, nous avons éclairé et élargi le décor. C’est beaucoup mieux comme cela. De toute façon, le plus important de cette soirée sera la seconde où, dès 20 heures, le visage du vainqueur se dessinera, ligne après ligne, sur l’écran.
C’est celui de François Mitterrand. Pour la première fois dans l’histoire de la V e République, un président sortant est réélu. Et avec une marge de voix considérable, au surplus : 54 % pour Mitterrand, 46 % pour Chirac. Les commentaires sont faciles à faire, un peurépétitifs toutefois. Cela fait quelques jours que, dans notre esprit et dans celui des sondeurs, la cause est entendue : Mitterrand réélu.
À l’antenne, du classique : les mitterrandistes font un tour triomphal des plateaux de télévision en ne prenant pas la peine de masquer leur joie ; les chiraquiens se font tout petits, tandis que les porte-parole de l’UDF hésitent à montrer un visage réjoui, parce que Chirac a été largement éliminé, ou bien navré, parce qu’ils en ont pris encore pour sept ans de Mitterrand.
À TF1, personne au sommet ne montre quelque sentiment que ce soit : Le Lay, Mougeotte et moi accueillons les intervenants sans commenter les résultats. Je sens pourtant poindre, derrière les « bonsoir » et les « au revoir », une inquiétude chez Le Lay. J’invente peut-être : il me semble néanmoins que, dans son esprit comme dans celui de Francis Bouygues, point l’interrogation capitale pour eux : Mitterrand va-t-il renationaliser TF1 ? Question plus justifiée qu’il y paraît, car Mitterrand n’a cessé de dire dans sa campagne qu’il ne continuerait pas les privatisations. Certains de ses adjoints, en revanche, ne se sont pas privés de faire savoir que la renationalisation de TF1 serait à l’ordre du jour... Bouygues a dû prendre ses précautions, mais on ne sait jamais.
Moi, j’ai beaucoup moins de craintes que l’état-major de TF1 : je ne vois pas Mitterrand se mettre TF1 sur les bras dès sa réélection. Il en a soupé, des réformes audiovisuelles, et n’a, selon moi, aucune envie de se lancer dans une opération aussi difficile. Et coûteuse, de surcroît : il faudrait aligner immédiatement un chèque correspondant aux milliards que Bouygues a mis dans la chaîne.
Mitterrand s’est depuis longtemps aperçu qu’une nationalisation de la télévision ne changeait rien à la marche plus ou moins agressive contre le pouvoir politique des différentes rédactions, publiques ou privées. Sa majorité, elle, me semble plus revancharde. Mais enfin, on verra !
En attendant, comme il n’y avait pas grand-chose à dire sur la réélection de Mitterrand, deux résultats ont été abondamment commentés : la percée historique du Front national (14,4 % pour Le Pen) et la dégringolade également historique du Parti communiste (6,8 %).
Je comprends assez bien la chute du PC, qui hésite depuis 1965 (depuis vingt-trois ans) entre la candidature commune de la gauche et une candidature séparée dont la vocation est de se rallier au candidat PS au second tour. Et puis, la période 1981-1986 a accentué l’impression générale sur les communistes : ils n’ont certes pasmontré qu’ils avaient un couteau entre les dents, mais ils n’ont pas démontré non plus qu’ils pouvaient faire quelque chose sans les socialistes. Résultat : une partie de leurs électeurs s’est portée dès le premier tour sur Mitterrand, abandonnant ce pauvre Lajoinie à son sort. Les militants ont peut-être voté pour ce dernier, mais pas les électeurs. Cette élection sonne le glas, ce me semble, des espérances présidentielles des communistes, et menace même leur simple présence aux futurs scrutins de même nature.
Je comprends moins bien la montée du Front national, même si je mesure bien la force et l’énergie de Jean-Marie Le Pen, incroyable debater , alternant dérision et colère, prenant appui sur l’insécurité et le terrorisme : l’extrême droite n’existe à ce niveau-là qu’à cause de sa personnalité. La
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