Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
comme il aime lui-même à le proclamer, il n’en reste pas moins que son succès à travers la France entière ne s’est jamais démenti depuis 1984, et moins encore durant cette campagne.
Avant le début de la campagne, Édouard Balladur avait risqué un chiffre : « Si Jacques Chirac est à 25 % au premier tour, il peut espérer gagner. »
On en est loin. Aucun des sondages ne crédite le Premier ministre d’un score comparable.
Reste le report des voix au second tour. Les communistes reporteront-ils leurs suffrages sur le président sortant ? Massivement ? Mitterrand a pas mal « ouvert » à droite pendant sa campagne, au point de paraître viser le second tour, parfois, avant le premier ; sa Lettre aux Français est beaucoup moins orientée à gauche que ne l’étaient, en 1981, ses 110 propositions. Le communisme rural de Lajoinie n’y trouve sûrement pas son compte. Peut-être Pierre Juquin s’en sent-il plus proche, mais qu’est-ce que cela changera, vu le faible nombre de voix dont il est crédité au premier tour ?
Quant aux voix de Le Pen, on peut en être sûr, à l’entendre à ce point diriger ses flèches contre Jacques Chirac, elles ne se reporteront pas sur lui. Peut-être, en revanche, sur Raymond Barre, si celui-ci arrivait finalement en deuxième position, le 24 avril.
24 avril
Premier tour 17 . Pas de suspense, mais tout de même : je suis stupéfaite par le petit score de Jacques Chirac. Lutter depuis deux ans, arpenter la France entière, enchaîner meeting sur meeting depuis trois mois, pour n’obtenir, au bout du marathon, que 19,9 % des voix ! Il y a quelque chose de désespérant, pour lui, dans ces chiffres. Il ne gagne qu’un petit point par rapport à 1981 ! Décidément, il ne réunit qu’une partie de la droite, et n’arrive pas à la fédérer. Même si, ce soir, Valéry Giscard d’Estaing a annoncé, grand prince, qu’il appelait le centre à reporter ses voix sur lui.
Le résultat est d’autant plus criant que les sondages non révélés pendant la dernière semaine de campagne montraient tous une avance plus confortable de Chirac par rapport à Barre. Il était crédité de 22 à 23 % – ce qui ne lui permettait déjà pas d’aborder le second tour avec la moindre chance de succès.
Les moins de 20 % obtenus par son adversaire principal vont transformer la campagne du second tour en promenade de santé pour Mitterrand.
Mais le vrai choc, c’est le score de Jean-Marie Le Pen, qu’aucun des sondages n’avait laissé prévoir. Le Pen à moins de deux points de Raymond Barre ! Une incessante montée depuis les européennes de 1984 et les législatives de 1986. Il y a là quelque chose qui bouleverse la vie politique française. Même si cela ne dure pas.
Lui, en tout cas, depuis sa maison de Montretout, à Saint-Cloud, claironne dès ce soir : « Ce score est un tremblement de terre politique » – tels sont à peu près ses premiers mots. « Rien ne se fera plus en France sans la volonté du Front national. » Je ne suis pas sûre de l’exactitude de ces propos que j’ai relevés rapidement, je suis sûre en revanche de leur teneur. Il a dit cela avec une sorte de contentement inouï, plein cadre, gonflé d’orgueil devant sa propre performance...
Comment ne nous sommes-nous pas aperçus, les uns et les autres, que l’extrême droite ne faisait que se renforcer en France depuis des années ? Il faut dire, là aussi, que les sondages ne nous ont pas aidés. Sans doute les électeurs de Le Pen n’osent-ils pas dire aux sondeurs qu’ils votent pour celui-ci, de peur de passer pour des militants d’extrême droite : ils ont déclaré un vote Chirac et se sont rués dans les isoloirs pour voter Le Pen.
Mitterrand pensait en 1983 diviser la droite. Il ne pensait sans doute pas le faire à ce point. Je serais tentée de dire : quelle victoire !, si je n’avais peur que les choses ne soient allées trop loin. Il doit en avoir peur, lui aussi, au demeurant.
Techniquement, le plateau de TF1 n’est pas terrible. C’est lapremière fois que j’ai eu à choisir le décor. Je m’aperçois ce soir que ce n’est pas mon métier et que j’ai beaucoup à apprendre. Avec Jean-Claude Paris et la bénédiction de Mougeotte et Le Lay, nous avons opté pour un décor très majestueux, mais beaucoup trop sombre, tandis qu’Antenne 2 a fait de l’éclairage son atout majeur.
Je trouve l’image de TF1 terne, animateurs et
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