Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
courant majoritaire, Lionel Jospin n’a pas voulu obéir aux souhaits présidentiels et il a convaincu Pierre Mauroy – qui ne demandait que cela – de se présenter, et Fabius a été battu. L’affaire a été facilitée par le fait que Mitterrand a dit à Mauroy lui-même – et à d’autres – qu’il ne souhaitait pas se mêler de l’élection du premier secrétaire, ayant coupé le « cordon ombilical avec le Parti socialiste ».
« De toute façon, me dit Pierre Mauroy au téléphone, Laurent Fabius n’aurait pas été élu ! Mitterrand ne se rend pas compte de l’opposition que Fabius suscite au sein du PS ! » Il insiste sur ce fait : il a envoyé loyalement une lettre à François Mitterrand, quarante-huit heures avant le vote sur la désignation du premier secrétaire,pour lui expliquer la situation. Mitterrand n’a dit ni non, ni oui, à son habitude. Alors Mauroy s’est présenté et il a été élu après des « primaires » au sein du courant majoritaire contre Laurent Fabius.
Il ne mesure pas – ou alors il fait semblant – ce que doit être en ce moment l’état d’esprit de Mitterrand, qui vient d’enregistrer sa première défaite... au sein de son propre parti !
21 mai
Les camps se reconstituent dans la perspective des élections législatives. Les centristes auraient pu rejoindre Rocard s’il n’y avait pas eu d’élections. Comme ils sont élus dans leurs circonscriptions grâce au report des voix RPR au second tour, ils n’ont plus le choix : ils rentrent bien vite dans les rangs de l’UDF sous la bannière de Giscard, qui propose à l’ancienne majorité la candidature unique pour le mois de juin. Chirac, lui, ne peut qu’accepter : il avait proposé la même chose dès septembre 1986. Le nouveau mouvement s’appellera l’« Union du rassemblement et du centre », URC 32 . Énième et très provisoire étiquette pour le même mouvement.
À gauche, l’ouverture aux nouveaux candidats venus du centre est du coup limitée.
25 mai
En marge de la campagne, Philippe Barret me raconte 33 dans quel état le ministre de la Défense et son équipe ont trouvé la Nouvelle-Calédonie. Il paraît que les Kanak ont été purement et simplement achevés à coups de bottes dans un car de gendarmerie par des gendarmes français. Jean-Pierre Chevènement a pris immédiatement la décision de lever le secret-défense sur le rapport de l’enquête de commandement qui établit les faits et de les transmettre au Garde des sceaux dans le cadre de l’enquête judiciaire ouverte. Comme au-delà des clivages politiques il respecte Michel Debré, il a demandé àPhilippe Barret d’aller tout spécialement lui expliquer la situation et les dérives commises par les militaires français en Nouvelle-Calédonie. Celui-ci lui a ouvert tous les dossiers, a plaidé que le ministre ne pouvait faire autrement au vu de telles actions et exactions. Michel Debré, paraît-il, a lu les dossiers avec soin, comme il le fait toujours. « Je n’aurais pas, moi, levé le secret-défense, a-t-il protesté. C’est mettre l’armée française dans une position impossible.
– Mais c’est elle qui s’y est mis, a répondu Philippe Barret.
– Peut-être, sûrement même, a acquiescé Michel Debré. Raison de plus pour ne pas le dire à tout le monde ! »
Est-ce l’âge qui les sépare ? ou l’époque qui veut que rien ne reste plus confidentiel ?
En tout cas, le nouveau gouvernement va vite en besogne en Nouvelle-Calédonie : une mission de dialogue conduite par le vieux copain de Rocard, Christian Blanc – avec tout ce qu’il faut de francs-maçons et tous les religieux nécessaires pour faire la lumière dans ce territoire d’outre-mer –, est partie dès l’arrivée de Rocard à Matignon. Dire que cela débouchera sur quelque chose de concret relève encore de la divination.
5 juin
Eh bien, pour une douche froide, ce premier tour législatif est une douche froide ! Le total des voix de la gauche non communiste est égal à 38 % des voix ; le total UDF-RPR est un tout petit peu supérieur ; Front national et Parti communiste font autour de 10 %. Tout cela avec une abstention record.
Signification du scrutin ? Sans doute les électeurs de gauche ou de droite n’ont-ils pas jugé utile de retourner aux urnes après la présidentielle : ils ont fait le choix le plus important en élisant Mitterrand ou en votant contre ; ils ne sont pas allés
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