Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
Français. Comme l’a écrit je ne sais qui, ce que l’homme a de plus important, c’est sa peau...
Cela ne rend pas compte du bouleversement, que dis-je, de la révolution qu’incarne le duo Mitterrand-Rocard. Tous deux ne cessent de se combattre au sein du PS depuis quatorze ans. Le second est le tenant d’une sorte de socialisme teinté de libéralisme. Je me rappellerai toujours comment, dans une conversation avec moi, en 1975, il avait critiqué – ridiculisé, plutôt – le Programme commun de la gauche ; comment il avait plaidé pour des nationalisations partielles quand Mitterrand parlait, comme si elles allaient de soi, des sept nationalisations de 1981. Je me rappelle aussi la fureur de Mitterrand, avant son élection, à l’endroit de cette « deuxième gauche » que représentaient pour lui Rocard et Le Nouvel Observateur . Et la façon dont lui s’inscrivait dans le droit-fil du socialisme historique, pas dans celui du socialisme chrétien.
Tout cela est envolé, balayé par la nomination de Rocard. Il est vrai qu’il était devenu tout bonnement incontournable ! Mitterrand a dû en prendre son parti dès le mois de janvier dernier, dès lors que Rocard a choisi de ne pas se lancer dans la campagne présidentielle.
11 mai
La dissolution de l’Assemblée nationale est certaine : comment Mitterrand pourrait-il gouverner avec la majorité qui l’a obligé pendant deux ans à regarder passer les trains ? Pourtant, je le sais par les rocardiens, la question de la dissolution pose celle de l’ouverture. Car les centristes sont plus ou moins prêts à se rapprocher du nouveau gouvernement. Rocard leur inspire confiance, et, dans la campagne, Mitterrand est resté suffisamment vague sur les problèmes économiques, semblant même s’être rallié définitivement à l’économie de marché. Chacun s’attend donc à ce que des centristes puissent entrer au gouvernement. À condition, font valoir ceux-ci, que la dissolution ne vienne pas faire fondre leurs troupes au Parlement.
Mais, là-dessus, Rocard n’a d’emblée aucune marge de manœuvre. La dissolution va de soi, il ne peut même pas en discuter avec les centristes qu’il rencontre ou que rencontrent pour lui sa poignée de fidèles : en premier lieu Huchon, Dreyfus et Carcassonne 28 .
Les centristes demandent alors si on ne peut pas appliquer pour le prochain scrutin le mode de représentation à la proportionnelle. Pas question pour Rocard d’accepter : il a démissionné pour cela avec éclat en avril 1984, rejetant ce mode de scrutin qui ferait rentrer en masse des élus d’extrême droite dans l’hémicycle. De toute façon, il faudrait une majorité à l’Assemblée pour la voter, et cette majorité serait bien difficile à trouver.
Donc, pas d’ouverture institutionnelle. Les centristes viendront à titre individuel, les uns après les autres, ou bien ne viendront pas.
13 mai
Voilà qui explique pourquoi aujourd’hui la constitution du gouvernement a été si longue à venir : peu de ralliements de centristes, finalement, hormis ceux de Stoléru, de Jacques Pelletier et de Michel Durafour 29 .
Pas étonnant, d’ailleurs, que ces trois nouveaux ministres se retrouvent ensemble chez Rocard. Ils ont bien des points en commun : ils ont tous trois été ministres de Giscard, tous trois se sont reconvertisdans le barrisme, tous trois enfin, nageant entre centristes et sociaux-démocrates, lorgnaient depuis longtemps en direction de Michel Rocard.
En revanche, l’appel aux « personnalités civiles » est plus important. Je pense à Pierre Arpaillange, ancien directeur de campagne de Marie-France Garaud 30 .
Comme tant d’autres, le gouvernement Rocard n’a pas été composé à Matignon, mais à l’Élysée. Les rocardiens me jurent le contraire. Je n’en crois rien. Mitterrand, élu à 54 %, règne en maître 31 .
Difficile de suivre le rythme. Le gouvernement est à peine constitué que Rocard, collant à Mitterrand, explique qu’il est partisan de la dissolution. Et en avant pour les législatives ! La campagne repart aussitôt.
15 mai
J’ai du mal à écrire dans ce cahier tant les choses vont vite. Tremblement de terre au PS, hier : Pierre Mauroy est devenu premier secrétaire. Pour une surprise, c’en est une ! Il me semblait – et il semblait à beaucoup – que Mitterrand tenait à ce que ce soit Laurent Fabius qui reprenne le parti. Eh bien non : à l’intérieur du
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