Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
voter une seconde fois.
À Solutré, le 22 mai, à l’issue du pèlerinage traditionnel, Mitterrand a dit il y a quelques jours qu’il ne souhaitait pas avoir une écrasante majorité socialiste 34 . Si c’est vrai, il a eu raison au-delà même de ses espérances 35 !
9 juin
Intervention télévisée de Mitterrand, qui a senti le vent du boulet. Et si la majorité d’hier redevenait la majorité de demain ? Et si une nouvelle cohabitation s’installait ? Mitterrand et Rocard doivent en avoir une peur folle. Rocard surtout, d’ailleurs, car, après tout, lui ne serait plus Premier ministre, tandis que Mitterrand resterait à l’Élysée. En tout cas, celui-ci a jeté ce soir tout son poids dans la bataille. Lorsqu’il a parlé, j’ai bien senti que sa crainte était de voir Chirac et Giscard revenir ventre à terre au pouvoir. Toute son intervention est allée dans ce sens : « Croyez-vous, a-t-il dit, qu’avec une majorité conservatrice, on luttera contre les exclusions ? Pour l’égalité des chances ? »
La fin de son propos de ce soir est tout de même assez claire. Il demande aux électeurs de lui ramener une majorité avec laquelle il puisse gouverner le pays.
12 juin
Le second tour des législatives aggrave le premier : le PS n’obtient qu’une majorité relative ; il lui manque 14 sièges. Quel échec pour Mitterrand, après ses 54 % du mois de mai ! Comment Rocard pourra-t-il gouverner avec une si étroite marge de manœuvre ? Dans quelle mesure, du reste, ne peut-il pas être jugé lui aussi responsable de la situation actuelle ? Quatorze sièges, ce n’est pas beaucoup, dans une assemblée de 575 députés, mais enfin, il faut les trouver. Il est vrai qu’à droite, c’est l’UDF qui aujourd’hui, pour la première fois sous la V e République, compte plus d’élus que le parti gaulliste – signe que Chirac sort très affaibli de la présidentielle. C’est donc vers les centristes que Rocard devra se tourner, et il me semble qu’il est le mieux qualifié pour aller pêcher les députés qui lui manquent et les ministres qui vont avec.
Tout de même, pendant que la soirée électorale se déroule, je vois défiler les socialistes qui tentent de faire bonne figure, et les giscardiens qui ne cachent pas leur joie. Ce second septennat commence dans la douleur.
Sans compter qu’apparemment, Mitterrand est furieux que le PS ait préféré Mauroy à Fabius pour le diriger. J’avais sous-estimé l’étendue du sacrilège.
15 juin
Rocard au Val-de-Grâce pour une crise de coliques néphrétiques. Le voilà malade à son tour, sitôt nommé. Il paraît que le mal l’a frappé en plein Conseil des ministres et que c’est le médecin de Mitterrand, le docteur Gubler, qui lui a prodigué les premiers soins. D’accord, ce n’est pas très grave, une crise de coliques néphrétiques, mais c’est révélateur d’une grande fatigue ou à tout le moins d’une grande tension. Ce qui ne m’étonne pas : avoir sur le dos les éléphants du PS et le Président par-dessus le marché, il y a de quoi craquer. Mais tout de même : si tôt...
Déjeuner avec Gilles Martinet 36 . Nous parlons évidemment de l’étrange couple que forment Rocard et Mitterrand. Au moment où nous déjeunons, nous ne savons ni l’un ni l’autre que Michel Rocard a eu un malaise, le matin. Nous ne l’apprendrons que dans l’après-midi.
La question à l’ordre du jour de notre déjeuner est : les deux hommes ont-ils oublié la guerre qu’ils se livrent depuis de longues années ? Peuvent-ils s’entendre aujourd’hui, et s’entendre longuement ?
Martinet est nuancé dans sa réponse. Selon lui, il y a une grande différence entre l’entourage de Rocard, ses amis, ses très proches collaborateurs, qu’ils viennent ou non du PSU, et Rocard lui-même. Celui-ci est heureux d’être à Matignon. Il n’était pas sûr de gagner une présidentielle. En revanche, il porte assez bien le costume de Premier ministre. Il se sent à l’aise dans les délibérations, les réunions, et, en même temps, il goûte pour la première fois aux joies de l’action. Gilles Martinet me confie qu’à son sens, Michel Rocard voit également, au-delà de Matignon, la voie tracée pour l’Élysée – enfin ! – en 1995. À condition que, d’ici là, il « colle » à Mitterrand. Persuadé qu’il lui faut être conciliant avec Mitterrand, il n’a guère fait d’histoires pour
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