Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
accepter que Pierre Joxe, Pierre Bérégovoy et Roland Dumas, piliers de la « Mitterrandie » politique, gardent leurs postes clés auprès du président de la République. Tout au plus – cequi n’est pas rien –, il a réussi à ouvrir le gouvernement jusqu’au giscardien (devenu barriste) Jean-Pierre Soisson 37 .
Bien différents sont les sentiments de ses amis et de ses proches collaborateurs, bref, de toute la petite troupe qui suit Michel Rocard, pour le meilleur et pour le pire, depuis plus de vingt ans. Grandis en politique dans l’opposition à François Mitterrand ( cf. le discours de Rocard au soir des élections législatives de 1978), ils restent très vigilants vis-à-vis de ce dernier, et surtout des mitterrandistes. Autour de Rocard, on trouve en fait des conciliateurs comme Tony Dreyfus 38 , des activistes comme Christian Blanc, des pragmatiques comme Jean-Paul Huchon, des juristes comme Guy Carcassonne, des intellectuels de gauche comme Gilles Martinet. Aucun d’eux n’a oublié le congrès de Metz de 1979, l’éviction de Michel Rocard en 1980, la vie dure que lui mène Mitterrand depuis 1974.
Pour Gilles Martinet, en revanche, les seuls obstacles ne sont pas du côté de Rocard. Il voit dans la vieille garde de Mitterrand bien des ministres ou dirigeants du PS restés profondément hostiles à Rocard : Henri Emmanuelli le déteste, Fabius le surveille, Joxe ne le vénère pas, et Roland Dumas s’en fout.
Conclusion de notre déjeuner : Mitterrand et Rocard sont sur le même bateau. Un échec de Rocard dans les six mois serait considéré comme un échec de Mitterrand, qui l’a choisi et imposé à ses proches.
Les entourages restent les entourages. Ils ne sont pas déterminants. Pour l’instant...
27 juin
La rapidité d’action est littéralement stupéfiante. Moins de six semaines après l’arrivée de Rocard à Matignon, l’accord est signé entre Jacques Lafleur, leader des Caldoches, et Jean-Marie Tjibaou, numéro un des Kanak. Fini Ouvéa, fini le pauvre Pons : sur les images, hier et aujourd’hui, on a vu d’abord tous les combattantss’installer autour de la grande table de Matignon, Christian Blanc, radieux, assis aux côtés de Michel Rocard, et, autour de la table, Lafleur, Tjibaou et leurs lieutenants. Lorsque cela a été fini, Rocard est apparu, lisant un texte avec son visage un peu chiffonné et ses trop grosses lunettes. Il était émouvant, vraiment, lorsqu’il s’est adressé aux Calédoniens, « si lointains », en leur disant de reprendre espoir. Il a rendu hommage à ceux qui, de chaque côté, ont accepté la négociation et qui ont fait, dit-il, « acte de courage, sans rien abandonner ». Quelques phrases vraiment formidables, s’achevant sur « donner et pardonner ».
Et puis, sur le perron de Matignon, côté jardin et pas côté cour, on a vu Tjibaou et Lafleur, souriants, se diriger vers les journalistes, prendre tour à tour le micro. Ils sont tous deux habillés de bleu, l’un, Tjibaou, porte une chemise rose, l’autre, une blanche. Lafleur a dit en quelques mots que la « situation était telle qu’il était souhaitable d’aboutir à une solution généreuse ». Puis Tjibaou a parlé d’accord historique.
Franchement, en les entendant, j’en ai la gorge nouée. Ainsi donc, il était possible de sortir de cette effroyable spirale. J’avais presque fini par douter que ce le fût en entendant Bernard Pons réfuter les arguments en faveur de la paix et contre l’intervention militaire. Et puis non, en six semaines les choses sont réglées, ou en passe de l’être. À coups de deux référendums, l’un national, l’autre local, le premier à l’automne, le second dans dix ans. C’est certes un peu compliqué, mais tant pis, pour l’instant, ça marche !
Tout le bénéfice en revient à Michel Rocard. Il voulait montrer qu’il était possible de gouverner autrement, il l’a fait : bravo !
29 juin
Discours de politique générale de Rocard à l’Assemblée nationale. Je n’aurais pas manqué cela pour un empire ! D’autant qu’il vient de remporter en Nouvelle-Calédonie son premier succès emblématique. Aux cadavres d’Ouvéa a succédé un accord historique entre Jacques Lafleur et Jean-Marie Tjibaou, le Caldoche et le Kanak. Ils sont venus tous deux dans les studios de TF1 où je les ai accueillis, rue Cognac-Jay. Ils ont ri devant les caméras, se sont serré la main devant des millions de
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