Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
déjà manifestée. Pour les cantonales, c’est encore pire.
Question : est-ce que les gens ne se rendent pas aux urnes par mauvaise humeur, pour contester le pouvoir en place, contre lequel ils ne peuvent rien, car cette élection locale ne le remet pas en cause ? Ou bien pensent-ils seulement que c’est au Président élu de mener sa barque comme il le veut, et avec qui il le veut, jusqu’à la fin du septennat ?
Cela étant, rapport entre gauche et droite inchangé.
3 octobre
Il n’est question, à l’état-major de TF1, que de ce coup tordu de Robert Maxwell qui rachète des actions du groupe Bouygues. Maxwell vient d’annoncer dans le Herald Tribune qu’il a acquis, évidemment sans le dire à son cher Francis, 5 % du groupe. Ce qui fait que le prix des actions monte, certes, mais je ne suis pas sûre que cette gymnastique financière plaise à Francis Bouygues ; je suis même sûre du contraire.
Il se demande si, en sous-main, ce n’est pas Mitterrand qui soutient Maxwell contre lui. N’y aurait-il pas là la marque d’une volonté de Mitterrand de reprendre en main, par l’Anglais, TF1 qu’il a renoncé à « renationaliser » ?
Il faut dire que Maxwell en impose : il se réclame de son amitié déjà ancienne avec François Mitterrand, de sa familiarité avec Berlusconi, de ses bonnes relations avec le gouvernement socialiste, lui qui se présente toujours comme proche – malgré sa fortune – du Parti travailliste. En outre, on peut comprendre son état d’esprit. Il est un homme de télévision, ce que n’est pas Bouygues. Il a contribué à l’achat de TF1 en y investissant 750 millions. Il y dispose de 12,5 % du capital. Et il n’a pas son mot à dire sur la conduite de la chaîne ! Pis : il a l’impression qu’on se fiche de lui. Ce qui n’est pas faux : lorsqu’il nous a envoyé son fils Ian, nous avions tous reçu pour consigne de le laisser le plus possible à l’écart de ce que nous faisions.
4 octobre
La loi sur l’exclusion est le premier texte soumis par le gouvernement aux députés. Il s’agit de garantir un revenu minimum aux « exclus », c’est-à-dire aux ménages privés de toute ressource, sans protection sociale. Mitterrand y tient beaucoup. Pour Rocard, c’est une occasiond’obliger le centre à le suivre, de créer, comme disait Edgar Faure, une majorité d’idées. Son habileté – car Rocard, finalement, se révèle plus habile que je ne croyais – consiste à faire accepter ce texte pour une période de trois ans, ce qui désarme ses éventuels adversaires.
Il paraît que Mitterrand trouve son Premier ministre trop lent, car trop consensuel. Sur le RMI, comme hier sur la Nouvelle-Calédonie, Rocard aura montré qu’il sait aussi aller vite. Et avec l’unanimité moins trois voix. Qui dit mieux ?
11 octobre
Je me souviendrai longtemps de ce conseil d’administration de TF1, ce matin, en pleine tempête entre Bouygues et Maxwell.
Le conseil se réunit dans une salle du rez-de-chaussée de Cognacq-Jay, la seule assez vaste pour accueillir tout ce beau monde. Car en dehors de tous les actionnaires et de leurs avocats, le « management », dont je fais partie, assiste aussi à la réunion.
Nous sommes donc à la gauche de Bouygues, qui préside, assis sur une rangée : Étienne Mougeotte, Corinne Bouygues et Bochko Givadinovitch, spectateurs privilégiés d’une empoignade qui nous échappe. Sont aussi présents les délégués du personnel : Jean-Pierre Pernaud et Marcel Caron. La séance est d’autant plus importante que nous devons assister aujourd’hui à la nomination de Patrick Le Lay comme président de TF1, qui succède ainsi – au moins sur le papier – à Francis Bouygues. Le conseil commence mal : nous apprenons que Philippe Bouriez, patron des Éditions mondiales, figurant lui aussi dans le tour de table de TF1 en 1987, a vendu toutes ses imprimeries en France à Robert Maxwell. Même attitude de la part de Bernard Tapie qui avait aussi acheté en douce des actions (du groupe ou de TF1, je n’en sais trop rien).
Il y a bien duel entre Bouygues et Maxwell.
Je n’ai pas tout compris, car le déchaînement de violence entre les deux hommes m’a fait penser au combat entre le diplodocus et King Kong. En gros, Maxwell s’est opposé à la nomination de Le Lay pour laquelle il n’avait pas même été consulté. Il a menacé Bouygues de l’attaquer pour abus de biens sociaux, et l’a
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