Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

je le souligne ici – il ne fait ni ne pense à faire assaut de démagogie. Sur le mouvement des infirmières, il admet qu’une solution doit être trouvée au plus vite, sans céder aux revendications immédiates. Sur l’ensemble des autres problèmes sociaux, c’est non. Son argument : le gouvernement fait ce qu’il peut, il fait le maximum « sans mettre en cause – ce sont ses termes – les équilibres économiques ». Il n’entend pas relancer le déficit, car, à terme, ce serait l’inflation, donc la baisse du pouvoird’achat. Il ne peut aller plus loin sans compromettre le sort des salariés eux-mêmes.
    Depuis que je commente des interventions politiques à la télévision ou ailleurs, je n’ai pas beaucoup entendu de Premiers ministres ne pas sacrifier à la pression sociale. Y a-t-il une divergence – sur le cas des infirmières, au moins – entre le Président et Rocard ? Je ne la sens pas, ce soir. Elle doit pourtant exister, si je me rappelle la compréhension marquée dont Mitterrand a fait preuve vis-à-vis du sort des infirmières au cours de ses déplacements en France.
    Rocard pourrait en faire six tonnes, accuser la majorité précédente, céder à la pression ambiante. Rien de cela chez lui : il est à la fois précis, courageux et convaincant. Les deux hommes s’aiment-ils, ne s’aiment-ils pas ? Ou plutôt, sans parler d’affection, se partagent-ils les rôles, l’un jouant le bon, l’autre le méchant ? Sont-ils, dans l’affaire des infirmières, complémentaires ou antagonistes ? Je n’en sais rien.

    18 octobre
    Une indication : Mitterrand, me dit-on, commence à s’irriter de l’ampleur des mouvements sociaux. Jean Poperen, qui, en tant que député du coin, était samedi dans le Rhône avec lui, me dit que le Président a trouvé Rocard trop intransigeant pour un homme de gauche (il a dit quelque chose comme : « La gauche oublie qu’elle est à gauche », et a parlé des « gens compétents qui devraient mener les négociations »). Mitterrand, ajoute Poperen, semble maintenant sérieusement préoccupé par ce qu’il estime être l’inefficacité de Rocard face aux conflits sociaux.
    Du coup, aujourd’hui, les infirmières demandent un médiateur, ce qui veut dire qu’elles n’ont confiance ni en Claude Evin, ni dans le Premier ministre.

    20 octobre
    La campagne pour le référendum en Nouvelle-Calédonie va s’ouvrir. Il y a vraiment eu trop d’élections cette année. Les Français sont las. Ils s’abstiennent déjà en masse aux cantonales. Sur la Nouvelle-Calédonie, ça promet d’être catastrophique.
    En outre, me voici repartie dans la conception et la constructionde nouveaux décors, de nouvelles soirées électorales, de nouvelles compétitions entre chaînes, à coups d’envoyés spéciaux et de grands reporters ! Heureusement, Jean-Claude Paris est là. Il a une sorte de gouaille qui me ravit. Il côtoie depuis des années les « stars » de l’audiovisuel que je connais depuis peu seulement. Il est avec eux d’une extraordinaire clarté. Nous avons décidé de partager le même bureau pour éviter que nos chères vedettes nous opposent l’un à l’autre. Quant à la ronde de ceux qui veulent présenter le JT ou montrer leur petite tête à l’écran, elle est incessante. À ceux-là il dit avec franchise et même brutalité que ce n’est pas parce que leur concierge les reconnaît dans la rue, ou que leur mère les félicite, qu’il faut croire que « c’est arrivé » !
    Problème insurmontable de la télévision : l’ego de ceux qui la font.

    6 novembre
    Référendum sur la Nouvelle-Calédonie : oui à 80 % pour l’indépendance, avec un taux d’abstentions de 63 % !

    8 novembre
    J’accompagne à Washington Patrick Poivre d’Arvor à l’occasion de l’élection présidentielle américaine. Je n’ai pas une passion pour PPDA, mais, franchement, quel professionnel ! Nous sommes arrivés à midi, moins de deux heures avant le JT de 20 heures qui avait été préparé sur place par le correspondant de TF1 aux États-Unis. Je le jure : PPDA a eu à peine le temps de se raser, de s’installer au cœur du studio qui avait été préparé sur une terrasse, face à la Maison-Blanche. Et il a pris l’antenne sans autre forme de procès après avoir lu en quelques minutes le conducteur 42 préparé. Pas une seule faute, pas la moindre erreur, pas de lancement de sujet raté. Comme s’il était