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Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997

Titel: Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Michèle Cotta
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me semble-t-il, la vie de Matignon.

    7 décembre
    Michel Rocard à « 7 sur 7 44  », avec Anne Sinclair vêtue de bleu et noir. Pas facile pour lui, cette émission, la première grande émissionqu’il fait à la télévision – hormis une interview au JT de 20 heures, en octobre – depuis qu’il est à Matignon. Dans sa présentation, Anne fait allusion aux jugements plus ou moins flatteurs sur son action que formulent nombre de dirigeants socialistes, soulignant l’absence de « grand dessein » du gouvernement et surtout du Premier ministre. Il sourit : c’est fou ce qu’il fait jeune, avec ses cheveux noirs, son costume rayé gris, sa veste trop épaulée, son sourire, la conviction qu’il met dans tous ses propos, sa sincérité aussi.
    Un mot pour les 55 000 morts du tremblement de terre qui vient de se produire en Arménie, et Anne Sinclair attaque sur le silence de Rocard, depuis plusieurs mois, alors que la tension sociale ne retombe pas. « Il y a un temps pour tout », plaide-t-il, rappelant tout ce que son gouvernement a fait et mis en place depuis mai dernier : le RMI, le retour de l’ISF, le futur statut de l’audiovisuel, la Nouvelle-Calédonie. Face aux mouvements sociaux, il a fallu aussi, assure Rocard, faire front. Durant ces trois derniers mois, il a signé huit accords ; il lui est même arrivé ces dernières semaines, précise-t-il, « d’avoir à piloter six négociations sociales à la fois ».
    Il en convient : à aucun moment il n’a pensé que les grèves démarreraient ainsi sur tous les terrains – la RATP, les pilotes d’avion, les infirmières... Ces infirmières auxquelles il rend hommage, ce soir, en reconnaissant leur « dévouement » et la difficulté de leur rôle.
    Pourtant, il reste ferme devant les millions de téléspectateurs qui le regardent. Il prend acte que vivre avec 6 000 francs par mois est très difficile, mais déclare aussitôt qu’il ne peut pas accorder à tout le monde une augmentation de 1 000 francs. « Ce serait payer les Français en monnaie de singe, l’inflation repartirait, le chômage aussi ! »
    C’est aux usagers, surtout, qu’il a décidé de s’adresser ce soir en premier lieu : ceux qui souffrent des grèves des transports, ceux qui attendent les métros le matin, ceux qui mettent des heures à rentrer chez eux le soir. Après avoir plaidé la rigueur, voilà qu’au surplus il fait la promesse d’ouvrir les discussions sur un programme minimum à imposer aux travailleurs en cas de grève. Il souhaite à sa manière qu’un dialogue se noue sur le sujet entre les grandes sociétés d’État et les fonctionnaires, et que ce dialogue débouche sur un accord contractuel. Si ce n’est pas possible, il prend l’engagement de déposer un projet de loi au printemps.
    La rigueur, la fermeté : le ton du Premier ministre d’aujourd’hui n’est pas celui du Premier ministre de 1981. Là est la surprise de ce« 7 sur 7 » : Rocard est allé plus loin sur le service minimum que ne l’avait fait Chirac !
    Deux points encore : il ne s’est pas appesanti sur les communistes, encore qu’en privé il nous ait dit avant l’émission que les communistes, par militants cégétistes interposés, étaient très présents dans les grèves, dans le harcèlement quotidien dont il est la cible. Il s’est borné, au cours de l’émission, à dire qu’il fallait distinguer la direction communiste, sa « vision stalinienne » de l’avenir, et l’ensemble des militants communistes, insérés dans le monde du travail, avec lesquels il lui fallait compter. Manifestement, ce soir, il n’a pas voulu taper plus fort publiquement sur le PC, pour ne pas attiser des braises encore rougeoyantes. Il l’a fait au Parlement il y a quelques jours, ce qui lui a suffi.
    Et puis, dernière remarque : il n’est pas apparu un seul instant qu’une « feuille de papier à cigarette » le séparait du président de la République dont il a affirmé, au contraire, qu’il était, dans toutes ces épreuves, son meilleur soutien.
    Après l’émission, il reste quelques longues minutes avec nous, à Cognacq-Jay dont les coulisses se prêtent mal aux réceptions ministérielles. Il est content de lui, content de ce qu’il a dit, convaincu qu’une certaine rigueur est nécessaire, si l’on veut pouvoir réformer la France.
    Mitterrand a-t-il voulu, en le nommant, « lever l’hypothèque Rocard » ? Rien dans ce

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