Cahiers secrets de la Ve République: 1986-1997
aux États-Unis depuis trois semaines, comme si rien de la vie politique américaine ne lui était étranger ! Chapeau...
Le décalage horaire (20 heures en France, 14 heures aux États-Unis) fait que nous avons le temps de passer à l’hôtel avant de participer à la soirée électorale des républicains et des démocrates. Lorsque nous arrivons chez les républicains, dans un grand hôtel de Washington, les jeux sont faits : George Bush est président.
Je garderai longtemps cette photo hors du temps qui nous montre, Patrick, le réalisateur du JT et moi, coiffés de chapeaux haut-de-forme rouge et blanc, accompagnés de deux jeunes femmes en maillot de bain, ou quelque chose d’approchant, mi-guêpière, mi-juste-au-corps.
Juste avant de prendre l’avion, un coup de téléphone : ma mère est morte. Je décide, parce que je ne peux en parler, sur le coup, de ne rien dire à ceux qui m’accompagnent. À Paris seulement, j’informe Patrick que je suis obligée de partir pour Nice, pour l’enterrement de ma mère. « Quand est-elle morte ? » me demande-t-il, suffoqué. « Dans la nuit. » « Et tu n’en as pas parlé de tout le voyage ? »
Non, je n’en avais pas parlé. Je ne sais pas parler de ce qui m’importe.
9 novembre
À Nice, dans ma chambre d’hôtel, en attendant l’enterrement de ma mère, prévu pour demain, je regarde à la télévision la cérémonie du transfert des cendres de Jean Monnet au Panthéon. Le cercueil avance dans la nuit vers le Panthéon. Curieux sentiment : la lente montée du corps, porté par la Garde républicaine vers le Panthéon, rappelle celle de Mitterrand en 1981, de jour, cette fois, mais la joie de la foule en moins. Drapeaux, musique de Messiaen, Orchestre national de France, rien n’y manque. Autour du cercueil, une centaine de jeunes représentant l’Europe entière l’accompagnent, puis s’arrêtent place du Panthéon au moment où le corps est porté dans la crypte.
Dans la tribune officielle, sur la place, Felipe González, Mario Soares, Helmut Kohl, d’autres encore, aux côtés de Mitterrand en costume strict, le visage marmoréen. Derrière eux, Jacques Delors, président de la Commission européenne 43 .
Lorsque son officier d’ordonnance lui présente le texte du discours qu’il doit prononcer, Mitterrand manque de le laisser tomber. L’incident passe inaperçu, et n’empêche pas Mitterrand de faire avec solennité le portrait de Monnet, cet homme né à Cognac en qui il serevoit : « À Cognac, dit-il, on sait attendre : c’est la seule manière de faire un bon produit ! » Il parle en effet pour lui, lorsqu’il évoque le jeune Monnet charentais. Plus tard aussi, lorsqu’il dit : « Aucun pouvoir ne s’impose ni ne dure qui ne procède d’un mûrissement intérieur. »
Du pur Mitterrand : le temps, la méditation, la durée, la maturité.
Et puis l’Europe, l’Europe surtout, qui est devenue désormais, au fil des années de pouvoir de Mitterrand, l’élément essentiel de sa politique. L’Europe qu’il veut, ce soir, décrire à travers les projets et la politique de Jean Monnet. Une Europe où l’Allemagne et la France ont « une responsabilité particulière ». Une Europe de la communauté, « l’avancée la plus étonnante, politique et intellectuelle, du siècle ». L’Europe de la persévérance, « qui reste à l’ordre du jour », car « la marche vers l’Europe est souvent malaisée ».
Aucun doute : Mitterrand veut compter au nombre des pères fondateurs de l’Europe qu’il cite longuement au terme de son discours.
14 novembre
Pierre Bérégovoy a célébré au restaurant favori de TF1 et d’Europe 1, Chez Edgard, ses quarante ans de mariage. Le patron du restaurant est un ami de toujours de Bérégovoy pour lequel il éprouve une réelle admiration. Gérard Carreyrou, qui a été invité, m’a décrit ce matin le restaurant plein, les dizaines de tables de huit à dix personnes. Une grande table d’honneur au milieu, avec Patrice Pelat et d’autres amis personnels. Quelques journalistes, pas beaucoup. Une grande partie du monde de la gauche. Bérégovoy irradiait de bonheur. Cet homme a toutes les qualités du monde, peut-être, notamment celle de s’être fabriqué lui-même à la force du poignet. Il n’a qu’un défaut, un gros défaut : la vanité.
Les grèves, les mouvements spontanés, les énervements sociaux, tout cela empoisonne jour après jour,
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