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Caïn et Abel

Caïn et Abel

Titel: Caïn et Abel Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Max Gallo
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achevé. Le corps de Marie ne devait pas être ma pierre tombale. Celui de Claudia Romano m’appelait à la vie.
    J’ai cru que je pouvais continuer à vivre, dire l’amour humain, l’élan d’un être vers un autre.
    Peut-être était-ce l’heure de ma résurrection ?

24
    J’ai revu Claudia Romano et mon cœur a obstrué ma gorge, ses battements ont résonné dans ma tête, j’ai senti le sang affluer à mes joues.
    Je n’ai pas voulu admettre aussitôt que je n’avais été qu’un vieil homme que trouble le corps d’une jeune femme. Avec l’habileté et l’hypocrisie d’un roué, j’avais dissimulé mon désir, ma vanité en évoquant la grâce, l’Esprit saint, la résurrection.
    Allons donc !
    Je ne m’en suis pas moins approché de Claudia, mais elle a détourné la tête, s’est mise à rire avec l’insolence et l’indifférence cristallines de la jeunesse. Elle a embrassé Wessermann et Boyon, Moralès et Natakis, elle a rejoint Rosa Berelowicz et Louis Veraghen, et elle a même osé prendre le bras de ce dernier, ce barbon que ne dérangeait pas le sens du ridicule.
    Quant à moi, je l’avais.
     
    Mes illusions se sont dissipées comme l’arc-en-ciel par jour de grand orage, quand après l’éclaircie reviennent les ténèbres et que la nuit obscurcit le plein midi.
    Je suis rentré à la bergerie. Personne ne s’est soucié de moi. L’angoisse et la honte m’ont envahi. J’avais usé de tous les stratagèmes pour trahir Marie, tenter d’échapper à ma culpabilité ; j’avais oublié que celui qui s’avance vers l’autre, poussé par le désir ou, comme je l’avais cru, par l’élan de l’amour, n’embrasse que le vide, car la vie se dérobe, la mort l’entraîne, et même si l’on a succombé, joui dans le grand incendie de la chair, on se retrouve toujours seul.
    Et il faut alors affronter le regard fixe et blanc de Marie, ma fille morte.
    Je n’ai pu échapper à cette confrontation.
    Puis je me suis enfui pour me terrer dans la bibliothèque du monastère Haghios Ioannis Théologos.
     
    Là, j’ai chevauché des jours durant aux côtés de Joachim de Flore, ce fils de notaire calabrais qui, au milieu du xii e  siècle, vêtu de beaux atours, s’en était allé servir comme page à la cour du roi Roger II de Sicile.
    Élancé, maniant l’épée avec l’agilité d’un danseur, chaque fois qu’il bondissait ses longues boucles blondes auréolaient son visage. Il séduisait. Grisé par le vin, les parfums, il aimait le foisonnement de la soie, la douceur d’un regard de femme quand il se posait sur lui, s’y attardait, sollicitait qu’il présentât son bras pour entraîner la jeune enamourée dans la danse. Il priait à la manière des courtisans, ceux dont le sang bout de certitudes et de désir.
    Puis le roi Roger l’a chargé de se rendre à Constantinople pour transmettre à l’empereur byzantin un message du souverain de Sicile.
    Et ce fut enivrant pour Joachim de Flore et son compagnon de voyage, un sage ermite, André, que de traverser l’Europe, de chevaucher par les forêts, le long des fleuves, de découvrir aussi ces foules de mendiants, cette multitude de pauvres aux corps déformés, souvent aveugles, tous tendant la main pour recevoir l’aumône tout en serrant dans l’autre un bâton noueux lourd comme un gourdin.
    Les prières quotidiennes furent alors récitées par Joachim de Flore d’une voix chaque jour plus sourde, comme voilée.
     
    Quand enfin ils atteignirent Constantinople, une brume noirâtre recouvrait la ville, pareille à l’exhalaison d’un immense corps en décomposition.
    Ils franchirent les remparts et l’odeur de chairs pourries les saisit à la gorge. Constantinople n’était plus qu’un charnier. La peste avait fauché à grands coups mendiants et ministres, débauchés et hommes sages, nouveau-nés et femmes, chevaliers vigoureux et vieillards déjà au bord de la tombe. Elle avait fait s’enlacer les corps noircis dont les organes gonflés crevaient comme des outres à la chaleur. Les cadavres gisaient dans les rues, à l’entrée des maisons ; certains étaient penchés à leur fenêtre comme si la mort les avait frappés au moment où ils avaient voulu fuir, prêts à s’élancer et à se tuer pour cesser d’agoniser.
    Joachim de Flore s’était immobilisé devant le palais impérial de cette ville somptueuse qui n’était plus qu’une fosse commune où le fléau avait jeté une grande partie

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