Cathares
d’emporter un ouvrage consacré aux cathares sous le bras. Ussat était un village et il ne mit pas longtemps à reconnaître chacune de ses maisons et de ses habitants. Cela devint bientôt un jeu pour lui de deviner qui habitait où et quelle pouvait être sa profession. Pour réfléchir à l’aise, il quittait le centre d’Ussat et gravissait les contreforts rocheux pour s’adonner à la lecture. En fin de matinée, il revenait en ville en opérant ce qui était devenu un pèlerinage au bar-tabac, le lieu qui avait constitué sa porte d’entrée dans la vie du village. La gérante blonde était toujours fidèle au poste et il avait même appris son prénom : Betty. Mais elle avait cessé d’astiquer ses bouteilles et, pour être honnête, elle ne faisait plus grand-chose depuis qu’elle avait embauché une serveuse, une jeune femme prénommée Mireille, âgée d’une vingtaine d’années et aussi brune que sa patronne était blonde. Malgré ses efforts, Le Bihan n’avait pas réussi à savoir d’où venait ce personnage qui ne ressemblait pas aux autres Ussatois. Elle n’avait ni l’accent ni les manières du pays, mais au village, personne ne savait d’où elle était originaire. Aucune intonation ne trahissait ses origines et elle gardait le sourire dans toutes les situations. Elle pouvait servir un sirop d’orgeat à une vieille curiste trop heureuse de lui expliquer ses problèmes de circulation avec force détails et exhibition de protocoles médicaux à l’appui, mais elle était aussi capable d’éconduire énergiquement un poivrot, cantonnier de son état, qui avait eu l’audace de vouloir joindre le geste au regard en lui posant une main indiscrète sur le derrière, après l’avoir observée pendant tout son service.
Mireille était le genre de fille toujours prête à sourire, mais qui ne s’en laissait pas compter. À regret, Le Bihan se dit qu’une étrangère n’avait rien à lui apprendre sur la vie du village, ses visiteurs d’avant-guerre et ses origines cathares.
À midi, l’historien avait pris l’habitude de se contenter d’un morceau de fromage, de quelques tranches de pain accompagnées d’un ballon de rouge avant d’aller se replonger dans sa lecture. En cet après-midi du troisième jour, il décida de traverser la ligne de chemin de fer pour se rendre de l’autre côté, non loin de l’endroit où se situait le fameux hôtel-restaurant des Marronniers. Tout juste avait-il pu apprendre par la propriétaire de l’hôtel de la Source que le dénommé Otto Rahn avait pris l’hôtel et ses dépendances en gérance en 1932. L’homme voyait grand et avait annoncé à qui voulait l’entendre sa volonté de développer son affaire. Il s’était engagé à installer l’eau courante – froide et chaude – ainsi que le chauffage. Une révolution dans la région ! Il avait engagé six personnes pour faire tourner son hôtel, mais malheureusement pour lui, il n’avait pas la moindre idée de la manière dont il fallait faire fructifier son investissement. Quand Le Bihan chercha à approfondir sa connaissance des employés de Rahn, la patronne lui répondit un peu sèchement qu’elle n’en savait pas plus. Elle paraissait même regretter d’avoir déjà trop parlé. Le Bihan s’en tint à sa stratégie de ne pas brusquer ses informateurs et lui débita deux ou trois banalités sur l’importance de bien connaître son métier lorsque l’on se lance dans une profession aussi exigeante que l’hôtellerie.
L’historien poussa la grille de fer ornée de fleurs de lis des Marronniers qui n’était pas fermée et alla jeter un coup d’oeil à travers les fenêtres. S’il s’attendait à trouver la réponse à l’une de ses questions, il déchanta aussitôt. Une maison vide et abandonnée depuis plusieurs années n’avait rien à lui apprendre. Il continua à inspecter la façade blanche dont le revêtement était très abîmé. À la droite d’une fenêtre du rez-de-chaussée, son regard fut attiré par une inscription que dissimulait à moitié une tige de ronce. Avec précaution, il écarta la plante et découvrit une petite croix gammée tracée au charbon et accompagnée de deux petits mots : « Nazi, crève ! » Le Bihan observa le graffiti pendant quelques secondes. Il passa doucement le doigt dessus, mais il aurait été incapable de dire depuis combien de temps il s’y trouvait. Le trait paraissait un peu effacé, mais il tenait toujours
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