Cathares
électrifiant Lombrives à ses frais. Malgré tous ses efforts, il n‘y eut jamais assez de touristes pour lui permettre de rembourser son investissement. Gadal connaissait mieux que quiconque l’histoire de sa commune et de ses environs. Il ne ménageait pas ses efforts pour explorer les secrets de sa terre. Dès notre première rencontre, nous nous sommes tout de suite bien entendus. L’homme avait dépassé la cinquantaine, mais il m’impressionnait par sa résistance physique. La nature l’avait doté de solides jambes qui lui permettaient de traverser les rivières, d’enjamber les éboulis dans la montagne et de parcourir de grandes distances à rythme soutenu. On ne dira jamais assez l’importance d’entretenir une bonne condition physique, même pour un intellectuel.
Je me souviens bien d’une de mes premières expéditions avec Gadal. Nous n’avions rien laissé au hasard. Je portais une chemise de toile, un gros pull-over et un pantalon genre golf en laine. J’avais investi dans une paire de chaussures suisses à clous, deux accessoires indispensables pour mener notre périple. Je me rappelle que mon sac pesait lourd. Il était garni de cordes, de piolets, de marteaux, de lampes à acétylène, de crayons, de papier, de couverture et de bougies. La propriétaire de la pension de famille où je logeais m’avait donné du pain, du saucisson, de la salade de haricots et même un peu de pastis. Pour finir, je n’oubliai pas ma provision de cigarettes, viatique indispensable pour le grand fumeur que j’ai toujours été.
Lestés de plus de trente kilos, nous nous sommes lancés dans la montagne avec la foi des conquérants. J’étais convaincu que cette innocente randonnée prendrait un jour des airs glorieux de conquête. Les Cathares avaient possédé le Graal et ils en avaient transmis le message par un procédé que j’ignorais encore au grand poète germanique Wolfram von Eschenbach dont s’était inspiré plus tard le génial Wagner. Il ne me restait plus qu’à découvrir le lien qui unissait ces hommes d’exception au plus grand mystère de tous les temps.
Comme je l’ai déjà dit, j’étais loin d’être sportif, mais je n’éprouvai pas trop de difficulté à arpenter les montagnes et à m’engouffrer dans les grottes de la région. Porté par la force de sa volonté, l’homme est capable d’accomplir de grands exploits. Mais sans Gadal, je n’aurais jamais pu découvrir toutes les merveilles et les secrets de ces grottes fabuleuses. Dans le pays, les gens disaient qu’il s’agissait du domaine d’Antonin. Il en connaissait le moindre recoin, la plus petite faille et surtout tous les dangers d’éboulis. Au début, je tâchais de rester évasif sur les motivations profondes de mon intérêt pour la région, mais par la suite, je me décidai à lui ouvrir mon coeur. Loin d’être inquiété par mes projets, il se montra encore plus coopératif.
Dans sa maison, Gadal possédait aussi une bibliothèque très riche et même un petit musée personnel où il conservait ses découvertes les plus dignes d’intérêt. Il était un vrai précurseur et, à ce titre, il fut toujours un incompris. Il se heurta à des professeurs butés qui ne prêtaient foi qu’aux versions rassurantes de l’histoire officielle. Mais Gadal savait qu’il existe un souffle profond venu de la terre qui dépasse les faits tangibles. Il savait que, contrairement aux hommes, la terre ne ment jamais. Il avait compris que le Languedoc avait été le berceau d’une tragédie dont l’écho continuait à se perpétuer à travers les siècles et que seuls les hommes dotés d’une longue mémoire étaient capables de comprendre.
Même si des différends nous ont quelquefois opposés, je tenais à rendre hommage à cet homme dont les illuminations m’ont grandement aidé sur la voie de la vérité.
Ton dévoué,
Otto Rahn
17
Profitant du trajet, Le Bihan prit quelques notes dans son petit carnet. Avec méthode, il énuméra toutes les pièces du puzzle qu’il s’acharnait à rassembler. L’historien avait beau varier les combinaisons, deux éléments revenaient invariablement au sommet de sa liste : les Cathares et les nazis. Pourquoi ces deux mots que rien ne rapprochait a priori lui paraissaient-ils associés de manière aussi évidente ? Depuis la fin de la guerre, Le Bihan avait décidé de tourner la page. Les circonstances l’avaient amené à affronter les hommes de
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