Cathares
terrasse quand elle le vit arriver. Elle abandonna son service et courut à sa rencontre.
— Alors, lui lança-t-elle sur un ton enjoué. La mère Lebrun, elle vous a viré ?
— Euh... dit Le Bihan qui ne s’attendait pas à une pareille entrée en matière. Non, elle m’a dit qu’elle n’avait plus de chambre.
— La bonne blague, ricana Mireille. Tous pareils dans ce bled pourri ! Je les écoute, vous savez. Ils trouvent que vous posez trop de questions. Alors, ils préfèrent vous ficher dehors pour avoir la paix. Les lâches ! Je me demande parfois s’ils ont assez de cran pour se regarder dans le miroir.
Pendant que la jeune femme lui parlait, Le Bihan l’observait et se disait que la colère lui allait bien. Elle lui donnait davantage d’intensité dans le regard et révélait ses jolies dents blanches qu’elle dévoilait rarement.
— Tenez, dit-elle, en lui tendant un petit papier. C’est le numéro de téléphone d’un chic type, Georges Chenal. Il possède une pension de famille pas très loin d’ici, à Saint-Paul-de-Jarrat. En attrapant le train de 17 h 25 et puis un taxi, vous pourrez encore y aller ce soir. Et comme ça, vous ne serez pas trop loin d’Ussat !
— Pourquoi faites-vous cela pour moi ? lui demanda-t-il avec étonnement. On se connaît à peine.
— Je ne le fais pas pour vous, corrigea-t-elle. Je le fais contre eux. Nuance ! Allez, je retourne travailler sinon la sorcière blonde va encore gueuler. Celle-là n’a pas dû s’embêter pendant la guerre.
— Pourquoi dites-vous ça ?
— Vous alors ! s’exclama-t-elle. C’est vrai que vous posez beaucoup de questions, mais vous ne trouvez pas les réponses ! Toute la ville sait qu’elle a travaillé pour le Chleu à l’hôtel des Marronniers avant-guerre. On raconte même qu’elle couchait avec le patron pour arrondir ses fins de mois.
— Mireille ! cria une voix depuis la porte du bar-tabac.
— Vous voyez ? Éva Braun ne peut pas se passer de moi. Allez, dépêchez-vous, sinon vous allez louper votre train.
Le Bihan retourna à l’hôtel pour boucler sa valise et régler sa note. Il songea à Otto Rahn qui, au fil des jours, cessait de n’être qu’une simple photographie d’avant-guerre pour devenir un homme. Il commençait à l’envisager sous un jour nouveau, d’autant plus qu’il connaissait à présent quelqu’un qui avait travaillé pour lui. Mais il restait à la faire parler...
15
Si la patronne de l’hôtel de la Source était étonnée de la facilité avec laquelle Le Bihan quittait son établissement, elle n’en laissa rien paraître. L’historien régla sa note et prit congé, non sans la gratifier d’un franc sourire. Madame Lebrun lui rendit sa monnaie et comme il se sentait d’humeur badine, il alla jusqu’à lui laisser un modeste pourboire pour la remercier de « son accueil chaleureux ». Le Bihan jeta un coup d’oeil sur sa montre et constata qu’il lui restait encore une bonne demi-heure avant de se rendre à là gare. Une question l’obsédait : comment était-il possible que la nouvelle de la découverte d’un homme sans vie gisant derrière les thermes n’ait pas fait le tour du village ? Certes, il ne devait pas y avoir une escouade de gendarmes dissimulés derrière chaque arbre à Ussat, mais de là à ce qu’un cadavre en pleine zone touristique passe totalement inaperçu, il y avait de la marge ! Le Bihan ne résista pas à l’envie d’aller voir par lui-même.
« S’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi. »
Il s’assura d’abord que personne ne se promenait dans les parages. Toujours en portant sa petite valise, il se dirigea derrière l’établissement quand il vit deux silhouettes marcher dans les herbes : le couple de clients anglais de l’hôtel de la Source ! Ils lui adressèrent un signe de la tête aussi cordial que discret. Le Bihan leur rendit la politesse et se dit qu’il ne pouvait y avoir que deux solutions : soit ils souffraient de sérieux problèmes de vue, soit ils confirmaient l’idée reçue selon laquelle les citoyens britanniques ne se mêlaient pas des affaires qui ne les regardaient pas. Dès qu’ils eurent quitté le sentier, Le Bihan posa sa valise et courut jusqu’à l’endroit où le pauvre homme avait rendu son dernier soupir. Les herbes étaient encore couchées, mais il n’y avait plus de trace de corps ! Il tâta le sol, mais il ne trouva pas le moindre
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