Catherine des grands chemins
fragile édifice de toile d'argent et de mousseline noire. Comme s'il se parlait à lui-même il murmura :
— C'est vraiment très joli ! Mais, ce soir, il faudra mettre quelque chose de moins voyant. Et, demain, des vêtements d'homme seront la meilleure solution pour faire le chemin.
Du coup, Sara laissa tomber peigne et épingles et se planta devant le Flamand, les poings sur les hanches. Avançant le nez presque à toucher celui de son ennemi, elle articula :
— N'y comptez pas pour moi, mon garçon ! Trouvez des vêtements d'homme à Dame Catherine si cela lui plaît - d'ailleurs je crois qu'elle adore ça - mais moi» aucune force humaine ne m'obligera plus à m'introduire dans ces ridicules tuyaux que vous appelez chausses ni dans ces non moins ridicules tuniques courtes que vous appelez huques ou pourpoints. Si vous voulez que je m'habille en homme, trouvez-moi une robe de moine. Au moins, là-dedans, il y a de la place !
Tristan ouvrit la bouche pour répliquer quelque chose, se ravisa, jeta un coup d'œil appréciateur à la majestueuse personne de Sara et finit par sourire, de son curieux sourire étiré qui ne montrait pas les dents. Puis soupira en haussant les épaules :
— Au fond, ce n'est pas une si mauvaise idée. A ce soir, Dame Catherine. Attendez-moi vers l'heure de complies !
L'angélus était sonné depuis longtemps quand Catherine, Tristan et Sara quittèrent le château, par la poterne de la grande porte ducale, pour s'enfoncer dans le quartier commerçant qui environne la cathédrale Saint-Maurice. Vu l'heure tardive, les volets de bois armés de fer étaient rabattus sur tous les éventaires, mais, par les interstices, on apercevait les lueurs des chandelles allumées et des lampes à huile.
La ville, dominée par les flèches élancées de sa cathédrale, allait bientôt s'endormir. Derrière les façades muettes, on devinait les ménagères affairées à la vaisselle et aux derniers rangements pendant que l'époux comptait le gain de la journée ou commentait les nouvelles de la province avec quelque voisin.
Les trois promeneurs se hâtaient par les rues étroites. Les épais manteaux sombres des femmes, leurs capuchons rabattus, en faisaient deux ombres légères, à peine distinctes des murailles noires. Quant à Tristan l'Hermite, il avait rabattu sur ses yeux les pans de son vaste chaperon noir car une pluie fine, une de ces pluies douces qui pénètrent bien la terre et font mieux gonfler la sève, s'était mise à tomber en même temps que le crépuscule. L'eau du ciel rendait glissants les gros galets ronds qui pavaient la rue où Catherine et ses compagnons s'étaient engagés, une rue creusée en son milieu d'un caniveau d'où montaient d'âcres odeurs de poisson, si fortes que Catherine sortit son mouchoir parfumé d'iris et le tint contre ses narines. Sara, elle se contenta de grogner :
— Nous allons encore loin ? Ça empeste ici !
— Nous sommes dans la rue de la Poissonnerie, vous ne voudriez pas qu'elle sentît l'ambre et le jasmin ? riposta Tristan. Au surplus, nous sommes bientôt arrivés. La rue de la Parcheminerie, où nous allons, fait suite à celle-ci.
Pour toute réponse, Sara se contenta de glisser son bras sous celui de Catherine et de hâter le pas. Bientôt on entra dans la rue annoncée qui, elle, ne sentait pas le poisson mais fleurait vaguement l'encre et la colle d'amidon. Le vent faible faisait cependant grincer les enseignes et l'éclairage y était encore plus rare que dans sa voisine. Dans toute la rue, une seule fenêtre était éclairée, encore était-ce une étroite fenêtre trilobée qui semblait refléter des lueurs d'incendie.
C'est devant cette fenêtre, ou plutôt devant la porte située juste en dessous, que Tristan l'Hermite s'arrêta. Les yeux de Catherine étaient assez habitués à l'obscurité pour qu'elle pût distinguer une petite maison biscornue à laquelle le pignon penché donnait l'aspect d'une vieille en bonnet légèrement prise de boisson. Mais, contrairement à ses voisines, faites de bois et de plâtre, cette maison était construite en bonne pierre. Et si la porte était basse, elle était solidement armée de pentures de fer fleuronnées et une grande enseigne en forme de parchemin pendait au-dessus. Un anneau ouvragé s'y accrochait, qui servait de heurtoir. Tristan, par trois fois, frappa lentement.
— Où sommes-nous ? chuchota Catherine un peu impressionnée par le silence.
— Chez l'homme qui peut
Weitere Kostenlose Bücher