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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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initiatives sont paralysées, qu'il s'agisse d'entamer des discussions avec des personnalités universitaires ou étudiantes, ou simplement de donner des instructions aux recteurs.

    « Comment ne prêterais-je pas l'oreille aux bruits qui courent depuis deux jours sur le sort que vous me réservez, puisque mes télex sont bloqués par Matignon, puisque mon poste de commandement est déconnecté de ceux à qui je dois commander ? Il faut sortir de cette situation où je suis censé exercer des responsabilités que votre entourage m'interdit en fait d'exercer.
    Pompidou. — Vous savez, il y a des moments où il faut lâcher du lest. L'affaire sociale sera réglée avec deux ou trois avenants aux accords de Grenelle. Maintenant, nous allons pouvoir nous retourner vers ce qui a été à l'origine de la crise, c'est-à-dire l'Université, et dont je n'ai pas encore eu le temps de m'occuper. »
    Il s'arrête, reprend fortement son souffle, serre plus fort lesmâchoires : « Je me rallie, et le Général aussi, à l'idée d'un médiateur qui renouerait les fils avec le monde universitaire, rompus depuis l'entrée de la police à la Sorbonne.
    « Ce médiateur, que je n'ai pas encore choisi, nous allons le trouver. Il nous faut un grand universitaire qui ne soit pas récusé par les professeurs, et qui d'autre part ait le sens de l'État.
    « Nous avions procédé de même pour la grève des mineurs. J'avais choisi Massé quand l'affaire est devenue mûre et il avait résolu le problème en quelques jours.
    « J'avais laissé Bokanowski dans son ministère pendant ce temps. Un tel arbitrage ne peut réussir qu'à condition que le ministère soit complètement court-circuité. Je sais bien que vous êtes trop volontaire et trop fier pour accepter cette situation. Je suis donc obligé de vous demander votre démission. »
    Pendant qu'il me parle, il tire sur sa cigarette, plantée à la commis-sure gauche de sa lèvre, ce qui lui fait fermer un oeil ; l'autre suit en l'air les volutes de la fumée. Pour la dernière phrase, il a éteint sa cigarette et m'a planté droit son regard dans mes yeux. Je l'ai écouté sans ciller. Il écoute sans m'interrompre les réflexions que m'inspire cette démission — offerte le 12 mai et refusée, alors qu'elle avait un sens, imposée le 28 alors qu'elle devient inutile et injuste.
    AP : « Elle ne servira à rien, puisque cette crise est devenue sociale et politique. Ce départ sera injuste, parce que si quelqu'un vous a mis en garde contre la contagion qui suivrait inévitablement l'acceptation inconditionnelle des revendications des étudiants révolutionnaires, c'est bien moi, et je crois même moi seul.
    « Mais le sort d'un homme ne doit pas peser dans un moment aussi grave.
    « Laissez-moi seulement vous dire que c'est une illusion de croire qu'un grand universitaire très engagé à gauche, comme Laurent Schwartz, ou Kastler, ou Jacques Monod qu'a fait pressentir Debré — j'espère que vous en étiez prévenu — pourra être ce médiateur. Aucun n'acceptera de venir vous rendre compte de ses entretiens comme le faisait Massé pour les mineurs. Du moins tant que le Général sera là. Ils vous demandent son départ comme préalable. Je vous conseillerais plutôt de grands professeurs qui ont des amis dans tous les camps, mais qui ont aussi le sens de l'État, comme le recteur Antoine, ou Bataillon, ou le doyen Vedel 2 . »

    Pompidou ne me répond que d'un « je verrai » évasif et, comme pour m'offrir un baume, me propose de rester avec mes collaborateurs dans nos bureaux jusqu'à nouvel ordre, puisque c'est lui qui va faire l'intérim. Je garderai donc la maison à la fois présent et absent. À vrai dire, ce ne sera pas un grand changement par rapportaux deux semaines précédentes, où Matignon avait concentré tous les pouvoirs en me privant des miens.
    Seul l'humour permet de surmonter l'émotion qui me serre la gorge. Quand Pompidou me raccompagne jusqu'à sa porte, je lui glisse : « Le maréchal de Villeroi disait qu'il fallait tenir le pot aux ministres en fonction, pour le leur renverser sur la tête le jour de leur disgrâce. C'est probablement ce qui va m'arriver. »
    Pompidou rit, plus fort que d'habitude, comme si cette plaisanterie mélancolique le libérait en même temps que moi. Lui est-elle restée à l'esprit quelques minutes ? C'est peut-être à cause d'elle que, descendant le grand escalier de Matignon après moi pour parler aux journalistes, il leur

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