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C'était de Gaulle, tome 3

C'était de Gaulle, tome 3

Titel: C'était de Gaulle, tome 3 Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Alain Peyrefitte
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dit : « Alain Peyrefitte a toujours été pour moi un collaborateur ouvert, précieux et réformiste. » Pompidou ne m'a pas renversé le pot sur la tête.
    L'information passe instantanément sur les radios et les télés, avant que j'aie eu le temps de rejoindre mon bureau et de prévenir ni ma femme, ni mes enfants, ni mon cabinet, qui ignoraient tout de ma démission du 12 mai.

    Il ne me reste plus qu'à rédiger un dernier « message aux enseignants, étudiants et lycéens ». Je tiens à y évoquer, fût-ce à mots couverts, le paradoxe de ma situation :
    « L'Université nouvelle, nous la voyons s'esquisser aujourd'hui dans des discussions un peu désordonnées. Elle n'est guère différente de celle qu'après de nombreux contacts et des travaux préparatoires approfondis, nous tentions d'organiser progressivement. Car ces maux et ces abus, nous les avions dénoncés nous-mêmes. Mais nous constations qu'il faudrait des années pour atteindre nos objectifs, dans un domaine où il n'était possible d'avancer qu'à pas lents, puisqu'il était protégé par les franchises universitaires et qu'à peu près rien ne pouvait s'y faire sans l'accord des intéressés. Bien souvent, hélas, nous avions l'impression de nous engluer dans l'inertie, dans l'indifférence, dans le scepticisme.
    « Aujourd'hui, l'explosion à laquelle nous assistons a pour effet de déchirer les voiles qui masquaient l'état des choses. Puisse-t-elle aussi faire éclater les obstacles qui se dressaient devant les réformes ! Toutefois rien de constructif ne pourra se faire que si le calme revient. Mon départ de l'Éducation nationale devrait y contribuer. »

    Tricot : « Il est en train de vous écrire une lettre »
    En début d'après-midi, Tricot me prévient que le Général me recevra demain mercredi 29 mai à 16 heures : après les coups de fil de compassion, l'audience de compassion.
    Vers 20 heures 30, Tricot m'appelle sur l'interministériel, qui n'a guère cessé de sonner : « Vous êtes encore là ? C'était toujoursoccupé. Le Général s'excuse auprès de vous de ne pouvoir vous recevoir demain après-midi à l'heure dite. Mais il m'a chargé de vous prévenir qu'il vous recevra à la fin de la semaine. Il est en train de vous écrire une lettre que je vais vous faire porter par motard. Pouvez-vous l'attendre à votre bureau ? »
    Une demi-heure plus tard j'ouvre l'enveloppe :
    « 28 Mai 1968.
    « Mon cher Ministre,
    « Votre départ du Gouvernement n'est à aucun titre le signe que ma confiante amitié pour vous et la certitude que vous avez "servi" aussi bien qu'il était possible à votre poste de Ministre de l'Éducation Nationale soient le moins du monde altérées.
    « Je vous demande d'en être assuré et de croire à mes sentiments fidèles et dévoués.
    « C. de Gaulle »

    « Ma confiante amitié » : le Général non plus ne m'a pas renversé le pot sur la tête.
    Sur le moment, je m'interroge : ce mot aimable n'est-il pas fait pour remplacer une audience ? Pourtant, Tricot a été net : le Général me recevra « en fin de semaine ». Même par un intermédiaire, le Général ne s'engage pas sans avoir l'intention de tenir. Mais pourquoi renvoie-t-il à vendredi ou samedi ce qu'il avait prévu pour mercredi ? Ce report m'intrigue. Qu'est-ce qui peut l'empêcher de me recevoir demain ?
    A cette question, j'aurai la réponse demain.
    Mais déjà, à relire cette lettre, écrite de sa main la plus ferme, un soir où tout vacille, où le départ d'un ministre est pour lui un incident presque dérisoire, je retrouve le de Gaulle que je connais. « Il n'est plus le même », il « perd les pédales » : c'est ce que j'entends dire depuis quelques jours. Mais s'il n'était plus lui-même, s'il perdait les pédales, aurait-il pris la peine et même le temps de prendre sa plume pour un si mince motif — excuse pour un entretien retardé, viatique pour adoucir un chagrin ?

    Mercredi 29 mai , après-midi, quand j'apprends que le Général a disparu et que son Premier ministre ignore tout de sa destination, je ne doute pas qu'il soit en train de jouer un scénario arrêté dans ses moindres détails.
    Dès le mardi soir, il avait donc prévu de « faire un coup » qui le tiendrait absent un jour, peut-être deux ; de renvoyer le Conseil des ministres ; de n'en rien dire à personne, ni à Pompidou, ni à Tricot. C'est pour moi le signe que de Gaulle a pris les commandes.
    Je n'ai eu aucun mérite à le déchiffrer : je

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