C'était de Gaulle, tome 3
Pompidou vous a dit, quand vous l'avez appelé : "Vous avez gagné."
GdG. — Surtout, la réponse a été confirmée, après mon appel, par le cortège des Champs-Élysées. »
Un silence, puis il reprend : « Comprenez-vous, les choses allaient si vite qu'on ne pouvait pas attendre le référendum du 16 juin pour les dénouer. Il fallait accélérer, il fallait interroger les Français tout de suite : " Voulez-vous que je reste à mon poste, ou que je m'en aille ?" C'était un référendum immédiat. Le référendum formel, s'il avait pu se faire, quinze jours plus tard, n'aurait eu qu'à ratifier le sursaut. »
« Organiser l'action civique partout et tout de suite » : c'était le message essentiel de son allocution — appeler les citoyens à se manifester. Le référendum, et à défaut les élections législatives, c'était pour après, comme une confirmation. Mais il lui fallait la manifestation immédiate que le pays lui faisait confiance, comme il se faisait confiance à lui-même.
Le Général aurait parlé à certains — pas à moi — de « défaillance ». Comme on comprend qu'il se soit laissé aller au découragement et qu'il en porte encore les traces ! Il sait que, parmiles plus fidèles des fidèles, beaucoup l'ont lâché. Il a senti son isolement comme il ne l'avait sans doute jamais senti : ni à Carlton Gardens face aux Anglais, ni au large de Dakar, ni à la villa des Oliviers, ni même au Palais-Bourbon, où tous votaient pour lui à la fin de 1945 sans même cacher qu'ils ne pensaient qu'à se débarrasser de lui. Rarement il a été aussi écoeuré par le comportement des hommes. Quinze jours après, il paraît encore blessé au fond de lui-même, refusant de se réjouir d'un retournement dont les signes sont pourtant partout si visibles. Et puis, « il ne peut pas cacher qu'il a l'âge qu'il a ». Le référendum instantané du 30 mai n'a pas tout effacé.
« À Baden, nous sommes chez nous »
AP : « Ça n'était pas gênant que cette entrevue se passe en Allemagne ? »
Le Général relève le menton : « À Baden, nous sommes chez nous. C'est notre Quartier général. Quand les troupes d'un pays stationnent à l'étranger, les chefs militaires et à plus forte raison le chef des armées peuvent les inspecter quand ils veulent, sans avoir besoin d'alerter qui que ce soit. »
De fait, au cours de sa visite d'État en Allemagne en septembre 1962, le Général était allé inspecter, dans le camp de Münzgen au sud de Stuttgart, la 3 e division d'infanterie mécanisée en manoeuvre. Aucune troupe allemande ne participait à la démonstration. La musique militaire jouait La Marseillaise et La Marche lorraine. Des Mirages passaient au-dessus des têtes. C'était une affaire française.
Il ajoute : « Il fallait que l'armée d'Allemagne soit une carte maîtresse, mais il valait mieux ne pas avoir à s'en servir. »
« Si on les gagne, ces élections, qu'est-ce qu'il faudra faire après ? »
Puis il change brusquement de sujet : comme s'il ne voulait pas s'appesantir sur la mystérieuse journée :
GdG : « Alors, comment ça se présente, ces élections ?
AP. — Je n'en ai jamais vu d'aussi faciles.
GdG. — Vous croyez vraiment ? Enfin, on verra. »
J'étais sûr qu'il me dirait : « On verra. » Il n'a jamais aimé les pronostics optimistes. Ne serait-ce que pour conjurer le sort, il les nuance toujours de scepticisme. Mais il a dit : « Vous croyez vraiment ? » comme s'il n'y croyait pas lui-même. Il est plus pessimiste que je ne le pensais.
GdG : « Alors, si on les gagne, ces élections, qu'est-ce qu'il faudra faire après, selon vous ?
AP. — Bien sûr, il faut d'abord remettre de l'ordre, puisque les élections vont se faire contre le désordre. Mais il faudra ensuite annoncer des réformes généreuses, faire comprendre aux naïfs qui ont cru changer la société qu'on ne va pas les écraser pour revenir en arrière, mais qu'on va les faire participer aux choix dont dépend leur vie. Cette campagne se fait sur la lancée de votre appel du 30 mai ; mais après les élections, il faudrait qu'on se place sur la lancée de votre allocution du 24. »
Il ne répond pas, mais hoche la tête, avec satisfaction me semble-t-il. Je reprends.
« Ce mois de mai ne s'effacera pas si tôt que ça de l'histoire de France »
AP: « Maintenant que la fracture est réduite, l'État va se remettre en marche. La confiance va revenir.
GdG. — Il ne faut pas se faire d'illusions.
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