C'était de Gaulle, tome 3
après la guerre, qui ont fini par aboutir à son retrait du 20 janvier 1946, j'ai été témoin de deux accès de dépression : après le résultat, jugé par lui mauvais, du référendum d'octobre 1962 4 ; et après le ballottage du 5 décembre 1965 5 .)
« Je prévoyais de rentrer le lendemain à Paris après avoir passé une bonne nuit. Mais je n'excluais pas de m'en aller définitivement.J'aurais lancé un dernier appel et on aurait bien vu. Ça aurait été un référendum instantané. Si les Français ne voulaient pas de moi, eh bien, ils se passeraient de moi. Tant pis pour eux. Vous savez, ils n'en loupent pas une. J'en ai fait assez pour eux. Alors voilà, je serais allé en Irlande, où je serais resté tranquille. Au contraire, s'ils acceptaient de se secouer, je revenais prendre les commandes. Bon, mais, entre les deux éventualités, je n'excluais pas d'installer le gouvernement à Strasbourg, ou à Metz. J'y aurais fait venir mon gouvernement ; j'aurais dit aux Français : "J'ai quitté la capitale où, dans quelques hectares, on a perdu son bon sens. Je suis venu dans cette province où l'on reste raisonnable et patriote. C'est de là que nous rétablirons ensemble l'État et les institutions."
(Ainsi, il aurait repris sa technique du Rocher Noir : pour faire échapper l'administration de l'Algérie à la fournaise d'Alger, il avait installé le délégué général et les chefs de service à distance, loin de la " boîte à mouches" où la rue s'agite, où on se monte la tête, où les rumeurs folles se propagent.)
« J'aurais appliqué la Constitution. (C'est sa façon de désigner l'article 16.) De toute façon, je pensais lancer un appel solennel aux Français, s'il paraissait pouvoir être entendu. »
En somme, trois solutions : ou bien recommencer la « France libre » à partir de l'Est ; ou bien... ce qu'il a fait effectivement le 30 mai ; ou bien l'exil, comme Charles X, Louis-Philippe ou Napoléon III. Il suffit d'évoquer ces souverains en fuite, pour penser que les deux autres hypothèses avaient toutes leurs chances.
« Ça m'a fait du bien de quitter la fournaise »
GdG : « Déjà, ça m'a fait du bien de quitter la fournaise. Quand j'ai survolé l'Est de la France, le courage m'est revenu. Il a suffi que je voie Massu, son état-major, leur sang-froid. Le décalage entre l'agitation de la cage aux bourdons et la résolution de l'armée sautait aux yeux. Certains chefs militaires m'avaient fait savoir qu'ils étaient déterminés à briser la subversion si je le leur demandais. Mais leurs messages m'étaient transmis par des proches 6 ; je ne les avais pas entendus directement. Massu, lui, ne m'avait pas fait signe. Nous nous sommes parlé. Il a été celui qu'il devait être.
AP. — Mais alors, mon général, vous vouliez vous appuyer sur l'armée pour reconquérir le territoire national ?
GdG. — Évidemment pas pour reconquérir ! C'était plutôt le contraire ! Il ne fallait surtout pas que l'armée d'Allemagne fasse des bêtises.
« En mai 58, j'avais interdit à l'armée de bouger : si les paras se mettaient en route vers Paris, on risquait le pire : déclencher une guerre civile. Il ne fallait pas plus le faire en 68 qu'en 58. Il fallait donc m'assurer que l'armée était prête à intervenir si je le lui demandais, mais qu'elle ne le ferait pas sans que je le lui demande.
« J'étais prêt à partir, mais prêt à rester. Je voulais voir comment l'armée répondrait à mon appel, si je faisais appel à elle. Je voulais être sûr d'elle et je n'en étais pas tout à fait sûr, étant donné la manière dont elle s'était conduite quelques années plus tôt.
« Il fallait interroger les Français tout de suite »
AP. — Et Massu a répondu à votre attente.
GdG. — Massu a été Massu. Il m'a fait sentir que l'armée n'était pas contaminée, qu'elle m'obéirait, qu'elle ferait ce que je lui demanderais, mais pas plus, qu'elle ne prendrait pas d'initiative intempestive contre la chienlit. Elle pourrait faire partout des gardes statiques, protéger les ministères, les préfectures, les gares, les bâtiments publics. Elle pourrait reconquérir le territoire sur les piquets de grève. Massu m'a rendu confiance en elle et en moi. Je n'avais même pas besoin de rester à Baden pour attendre la réponse des Français. Une inspection avait suffi. Je pouvais attendre à Colombey ou à Paris que les Français me répondent.
AP. — La réponse est venue le jour même.
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