C'était de Gaulle, tome 3
homme qui va à vau-l'eau, mais d'un chef qui a tout prévu.
Flohic abonde dans ce sens : « Mercredi matin, d'Escrienne, qui était de service, m'a téléphoné vers 10 heures : "Le Général vous demande d'arriver en uniforme avec un bagage de campagne." Bizarre, puisque nous étions toujours en civil pour aller à Colombey. Il voulait que, atterrissant sur un terrain militaire parmi des militaires, je sois aussitôt reconnu par mon uniforme et en mesure de donner des ordres. De fait, c'est ce qui m'a permis, à l'aérodrome de Baden-Oos, de demander à un sous-off de me laisser téléphoner au commandant en chef : si j'avais été en civil, il aurait pu m'envoyer promener.
« Quand je suis arrivé au bureau en uniforme, le Général m'a dit : "Procurez-vous des cartes de navigation au-delà de Colombey." Je lui ai demandé : " Dans quelle direction ? " Il a répondu : " Vers l'est, mais qu'on ne vous voie pas les prendre." Quand nous sommes partis pour Issy-les-Moulineaux, vers 11 heures 30, le Général me dit : "Il ne faut pas passer par le quai de Javel, prenez un autre itinéraire." Je me suis concerté avec les officiers de sécurité. Il disait ça à cause des grévistes de Citroën. Il fallait donc passer par la rive droite. De Gaulle avait pensé à ces piquets de grève, et nous pas.
« Dès qu'on a pris l'air, le Général m'a donné des précisions au fur et à mesure : " Direction Colombey ", puis "Nous n'allons pas à Colombey, nous ferons du kérosène à Saint-Dizier", et ainsi de suite jusqu'à Baden. »
Cette fugue du 29 mai a donc été entièrement pensée, prévue dans ses moindres détails, entourée d'un secret total. C'est la mise en oeuvre ponctuelle du précepte du Fil de l'épée sur le mystère qui doit surprendre l'adversaire.
« L'Odéon ? Ça aurait dû être fait depuis un mois »
Flohic m'ouvre la porte du Salon doré. Le Général se lève, vient vers moi, me tend la main.
La bonté de son sourire me met à l'aise, la fatigue qui transparaît encore m'inquiète. Ses rides se sont creusées. Deux semaines après le miracle du 30 mai, il n'a pas surmonté sa lassitude. Il parle à voix plus basse, au point que certains de ses mots m'échapperaient si le reste de la phrase n'en indiquait le sens. Il est comme épuisé, mais en même temps détendu, à cause sans doute de l'événement du matin.
Je le félicite pour l'évacuation de l'Odéon.
GdG : « Ce qui devait être fait a été fait. Ou plutôt, a fini par être fait... Ça aurait dû être fait depuis un mois, mais Pompidou a tout laissé filer. Il a tout lâché. Il a lâché en ouvrant la Sorbonne sans conditions, ce qui a provoqué une contagion d'occupations dans tout le pays. Il a lâché à Grenelle en acceptant que le SMIC soit remonté de 25 %, sans même demander que ça se fasse par étapes. Il a porté un coup terrible à l'économie, aux finances, à la monnaie.
« Oui, Pompidou est resté bien souvent passif. Ce n'est pas la première fois. C'est dans son caractère. Mais je m'en accommodais. C'est un arrangeur. Il faisait baisser les tensions. Tandis que Debré provoquait des tensions permanentes : il avait le tracassin. Avec Pompidou, j'étais gardé du côté des ennuis quotidiens ; je pouvais m'occuper des grandes affaires et de la France dans le monde. »
Je l'écoute, éberlué. À nouveau, le Général porte une terrible accusation contre le Premier ministre qu'il a maintenu à la tête de son gouvernement. Depuis quatre ans, j'avais relevé maints signes de mauvaise humeur, et même maintes piques, contre Pompidou. Depuis 1964, je devinais qu'il était bien décidé à ne pas laisser celui-ci se présenter à l'Élysée, mais à s'y présenter lui-même*. Depuis 1965, je savais qu'il avait imaginé de remplacer Pompidou par Couve de lVlurville 3 . Mais jamais je n'avais entendu un propos aussi sévère.
Pourtant, comment pourra-t-il remplacer Pompidou si, comme tout le laisse supposer, les élections sont un succès, dès lors que Pompidou apparaît aux Français comme celui qui a le mieux compris la situation et le mieux agi pour la maîtriser ?
Il serait déplaisant de poursuivre, ou même de le laisser poursuivre, sur ce thème. J'ai d'autres questions.
« Avec les communistes, c'est le coup de Prague qui aurait recommencé »
AP : « J'ai été étonné, le 30 mai, que vous tiriez à coups de canon sur le parti communiste alors que, pendant la plus grande partie du mois, il avait été
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