C'était de Gaulle, tome 3
la seule protection de l'État contre les débordements gauchistes.
GdG. — Enfin, ça, c'était l'idée de Pompidou... Bien sûr, les communistes n'avaient aucune envie de faire la révolution jusqu'à ce qu'elle se soit déclenchée. Ils n'avaient même pas envie de faire grève. Mais quand on s'est mis à jouer à l'émeute sans eux, ils ont voulu la déborder. Ils ont mis en place des piquets entraînés à paralyser les entreprises ; ça a paralysé tout le pays.
« Quand ils ont vu que ça prenait si bien, que les partis d'opposition se précipitaient dans la brèche pour amplifier ce mouvement, que le gouvernement réagissait de plus en plus mollement, alors les cocos ont changé de registre, ils se sont mis à exiger un gouvernement populaire. (Il rit.) On sait ce que ça veut dire, les démocraties populaires. (Il rit encore.)
« Quand ils ont constaté que tout s'écroulait, que les journaux, les radios, la télé étaient complices, et que l'opinion restait amorphe, ce qu'ils voulaient, c'était que j'abdique au profit d'un régime dit "de gauche". Dans un premier temps, ils se seraient contentés d'en faire partie. Dans un second temps, ils auraient pris les commandes, tout en gardant quelques figurants non communistes. Vous pensez bien qu'ils ne voulaient pas se laisser coiffer par Mendès.
AP. — Parce qu'ils ne lui pardonnent pas d'avoir récusé leurs votes, pour son investiture après Dien Bien Phu, comme s'ils n'étaient pas français ?
GdG. — Naturellement ! Et ce n'est pas Mitterrand qui aurait empêché que tout bascule entre leurs mains ! Ils tenaient la rue, les usines et les services publics. Avec eux, c'est le coup de Prague qui aurait recommencé. Et, croyez-moi, ça aurait très bien pu marcher, comme ça a marché dans tous les pays où ils se sont installés. D'abord Kerensky, ensuite Lénine. Le nouveau gouvernement n'aurait dû son existence qu'à la puissance de la CGT, c'est-à-dire des communistes.
AP. — Mais à Prague, les Soviétiques étaient à côté. Ici, ils sont loin.
GdG. — Pas si loin que ça. Ne vous y trompez pas. Le parti communiste a été bien près de basculer dans l'insurrection. Il n'y avait pas pensé à l'avance, il a été surpris par la violence des gauchistes, qu'il méprisait jusque-là, et surtout par la faiblesse du gouvernement. Depuis les grèves insurrectionnelles de 47 et 48, il avait renoncé à la violence, parce qu'il constatait qu'elle se retournaitcontre lui. Quand il a vu le mois dernier que les gauchistes bénéficiaient de l'impunité, il a changé complètement de stratégie. Ce que les gauchistes réussissaient, il a compris qu'il avait les moyens de le réussir beaucoup mieux encore.
AP. — Vous avez vraiment craint que les communistes attaquent l'Élysée ?
GdG. — Les communistes et la CGT préparaient une grande manifestation, la première qui leur soit propre. Elle convergeait sur Saint-Lazare, à deux pas de l'Élysée. Depuis deux jours, ils réclamaient un gouvernement "populaire". Il y avait un risque sérieux que la manifestation veuille prendre l'Élysée d'assaut. La première chose à faire était d'éviter de nous laisser faire aux pattes.
« J'étais parti en laissant toutes les possibilités ouvertes »
AP. — C'est pour ça que vous avez fait venir votre fils et sa famille ? Vous ne vouliez ni les laisser prendre, ni vous laisser prendre, en otages ?
GdG. — Évidemment ! Mon fils était enfermé chez lui avec les siens, et des grévistes de la CGT montaient la garde sous ses fenêtres. Mais surtout, il fallait que je m'assure de la loyauté de nos troupes stationnées en Allemagne. Il fallait que je m'assure de celle de Massu et de son état-major. Il fallait que je connaisse l'état d'esprit du contingent. (Un silence.) Il fallait aussi que je m'assure de moi-même. Et il y avait bien d'autres enjeux.
AP (timidement). — Lesquels ?
GdG (un peu bourru). — J'ai déjà tout dit à Michel Droit.
AP. — Nous sommes restés sur notre faim... Quand vous êtes monté en hélicoptère à Issy, étiez-vous décidé à revenir le lendemain, ou à partir sans retour ?
GdG. — Il fallait que je prenne du champ. J'étais parti en laissant toutes les possibilités ouvertes. J'ai bien dit toutes, y compris mon départ. J'étais assailli par le doute, comme ça m'est arrivé plusieurs fois dans le passé.
(Que de fois, en effet ! Pour ne pas remonter à ses tentations de "tout laisser tomber" pendant et
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