C'était de Gaulle, tome 3
ministre de la Recherche scientifique et des questions atomiques et spatiales. J'ai voulu que ces trois fonctions soient rassemblées dans votre titre, alors qu'elles ont été dans le passé dispersées.
« Voyons les trois.
«La Recherche scientifique d'abord, ce sont les "pointes", n'est-ce pas ? Vous êtes ministre des "pointes" : les recherches de pointe, les techniques de pointe. Vous avez compétence pour tout ce qui représente le futur. Même si certains organismes ne sont pas sous votre tutelle, comme la recherche agronomique ou la recherche médicale, vous en rassemblez les crédits dans ce qu'on appelle " l'enveloppe-recherche". J'ai créé ça quand j'étais à Matignon à la fin de 58, pour qu'on puisse décloisonner et équilibrer les différentes recherches. Sinon, chaque équipe de chercheurs, chaque laboratoire, ignorait tout de ce que faisaient les autres, même dans un domaine voisin. Vous n'agissez pas directement, mais vousveillez à l'emploi des fonds, vous pourchassez les doubles emplois, vous évitez qu'un domaine soit congestionné et un autre saigné à blanc. Vous orientez le choix de l'État entre les différents secteurs de pointe, même si vous ne les gérez pas directement.
« Les chercheurs sont porteurs de l'avenir. Leur cervelle représente ce qu'il y a de plus précieux en France. Mais il faut lutter contre leurs défauts, ou les aider à les combattre eux-mêmes.
« Il y a parmi eux beaucoup de professeurs Nimbus »
« Ils n'ont pas les pieds sur terre. Il y a parmi eux beaucoup de professeurs Nimbus. Ils vivent dans leur marotte. Ils ne se rendent pas compte de ce qu'ils coûtent. Ils ne s'intéressent pas à savoir ce qu'ils pourraient rapporter. Non seulement ils ne cherchent pas à exploiter leurs découvertes, mais il arrive qu'ils ne permettent pas que d'autres les exploitent. Ils n'aiment pas l'argent, bien qu'ils en dépensent beaucoup. Il faut quand même essayer d'orienter la recherche dans un sens qui soit utile à l'intérêt national.
« C'est pour ça qu'à la fin de 58, quand j'étais encore à Matignon, j'ai institué le Comité des Sages 2 . On m'avait proposé un véritable parlement de scientifiques, avec des effectifs pléthoriques. C'est la formule qui plaisait aux scientifiques. Il n'en serait évidemment rien sorti de bon, comme de tous les parlements. J'ai écarté ça, en faveur d'une structure légère de douze conseillers. Vous verrez, je crois que c'est une bonne formule. Mais je ne suis pas sûr qu'on en tire le meilleur parti possible.
« Vous ne pourrez les mobiliser qu'en leur proposant de grands défis »
« Tous ces professeurs Nimbus, vous ne pourrez les mobiliser qu'en leur proposant de grands défis.
« Et il faut aussi les entraîner par l'opinion, en montant en épingle quelques objectifs précis, qui correspondent à de grands intérêts nationaux. Peut-être vous pourriez vous entendre avec Debré pour faire une loi-programme, il aime ça.
« Vous savez, là comme ailleurs, la IV e République avait des hommes de qualité, mais ils étaient voués à l'impuissance. Avez-vous jamais entendu parler d'une politique scientifique de la IV e ?
« Et puis, bataillez contre la dispersion. Tenez, faites-vous donner le dossier de la mer. On m'assure qu'il y a une centaine de laboratoires dispersés dans plusieurs ministères et qui travaillotent chacun de leur côté, sans se préoccuper de savoir ce que font les autres, alors qu'en rassemblant leurs forces, ils pourraient aller plus vite et plus loin.
(Le Général a la passion de l'unité. De l'unité française, à travers les ruptures tragiques qui ont marqué son histoire : il n'y a qu'une histoire de France. De l'unité de la France d'aujourd'hui, au-delà des antagonismes hérités du passé. De l'unité de l'État, en surmontant les particularismes administratifs qui dispersent les efforts.)
« Alors, Joliot, vous êtes haut-commissaire ! »
« Passons à l'atome. Vous disposez de tous les moyens de recherche, civils ou militaires. Ils sont regroupés dans le Commissariat à l'énergie atomique. C'est peut-être le domaine de la science où le compartimentage est le moins marqué ; mais je crains qu'il ne soit encore trop fort.
« Faites attention à ce que je vais vous dire. Quand j'ai créé le CEA en 45, après les bombes d'Hiroshima et de Nagasaki 3 , j'ai fait venir Joliot-Curie. Je lui ai dit : "Je crée le Commissariat avant tout pour fabriquer la bombe. Si je vous
Weitere Kostenlose Bücher