C'était de Gaulle, tome 3
modifier dans la Constitution, si ce n'est de préciser la relation entre le Président dela République et le Premier ministre. Il ne peut y avoir un aigle à deux têtes au sommet de l'État. Il faut donc que le Président puisse se séparer du Premier ministre s'ils ne sont plus d'accord. L'article 21 de la Constitution, après : "nomme le Premier ministre", devrait préciser : "et met fin à ses fonctions".
AP. — Et si c'est le cas inverse ? Si le Premier ministre veut démissionner pour marquer son désaccord et ouvre ainsi une crise ?
GdG (sourit, comme quand on a mis le doigt sur une arrière-pensée). — C'est le cas le plus ennuyeux. Le Président peut se prémunir contre le premier cas en demandant à son Premier ministre une démission en blanc quand il le nomme 6 . Mais il ne peut pas se prémunir contre le second cas. C'est le talon d'Achille de cette Constitution.
AP. — Si une démission en blanc suffit à régler le premier cas, et si une révision constitutionnelle ne permet pas de régler le second, autant vaut ne pas toucher à la Constitution ?
GdG. — On peut s'en passer. Il vaut mieux ne pas tripoter la Constitution. Mais l'expression met fin à ses fonctions aurait l'avantage de rendre officielle et irréversible la subordination du Premier ministre au chef de l'État. Jusque-là, la tentation restera forte, pour le petit monde politique, de revenir au système ancien, auquel les Français sont si habitués, quand le président du Conseil était le vrai chef de l'exécutif et que le Président comptait pour du beurre. Enfin, il faut que l'occasion se présente. On ne va pas faire un référendum exprès pour ça. Mais on pourrait glisser cette réforme dans une révision qui engloberait le Sénat. Naturellement, vous gardez tout ça pour vous. Il ne faut jamais dévoiler ses batteries à l'avance. »
Le jeune Français qui, fier de ses dix-huit ans, pourra voter en 2002, avait deux ans en 1986, quand a commencé la première cohabitation, neuf ans quand a commencé la deuxième ; et s'il vote à la présidentielle et aux législatives de 2002, c'est que la cohabitation commencée en 1997, quand il a eu treize ans, sera allée jusqu'à son terme. Sur ses dix-huit années de vie, neuf années de cohabitation. Si l'« âge de raison » est toujours fixé à sept ans, ses aînés lui auront donné l'occasion de former sa raison politique, pendant sept années sur onze, dans une République dont les deux principaux personnages sont à la fois partenaires et adversaires.
Il y avait beaucoup de scénarios auxquels on pouvait penser quand, en 1969, le général de Gaulle nous a laissé sa République à continuer. Mais personne n'avait l'imagination assez fertile pour inventer celui-là.
Or, il faut bien le dire : la cohabitation devenue habituelle est
Pour de Gaulle, la véritable cohabitation, comme problème à traiter, c'était la cohabitation entre le Président et une majorité parlementaire hostile, non entre le Président et le gouvernement.
Face à la plupart des questions d'aujourd'hui, nous ne savons pas ce que de Gaulle ferait, et rien n'est plus ridicule que de le faire parler péremptoirement à leur sujet, à trente ou quarante ans de distance. Mais, sur ce point-là, il en va tout autrement. On vient de le lire. Il s'est exprimé avec la plus grande clarté.
Il ne concevait même pas l'idée d'une cohabitation au sein de l'exécutif. Mais une cohabitation entre un gouvernement solidaire du Président et un Parlement hostile n'était, en somme, qu'un des cas de figure du fonctionnement parlementaire normal. Cette cohabitation à l'américaine faisait partie des « ressources de la Constitution ».
L'analyse de la différence entre la cohabitation telle que nous la vivons et celle qu'imaginait le général de Gaulle nous renvoie à la question de la légitimité du Premier ministre et du gouvernement.
Pour de Gaulle, la légitimité du Premier ministre est, essentiellement, celle que lui délègue le Président, élu des Français, qui le nomme et dont « il procède » ; elle est, accessoirement, celle que le Parlement lui concède en approuvant ou en ne censurant pas le gouvernement. Il y a une légitimation active, créatrice — celle conférée par le Président. Il y a une légitimation passive, qui est le nihil obstat de l'Assemblée nationale. De ce point de vue, la non-censure et l'approbation d'une déclaration gouvernementale sont équivalentes. Le fait que le
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